La maternité de Boffa

Rapport d'Elisabeth Boyenval, sage-femme
Membre du bureau du Comité


Le jeudi 4 février à 11h, voici comment j'ai fait connaissance avec la maternité de Boffa. La cour de l'hôpital que je traverse avec notre délégation est un grand chantier où douze nouveaux bâtiments sont en construction simultanée, implantés parmi les cinq existants. Notre groupe est mené par le directeur Mr Isaac Kolié, chirurgien de son état, bienveillant pour cette visite malgré son congé de noces.  

La maternité se situe à l'entrée de l'hôpital près d'un grand panneau indiquant d'une part, les tarifs des consultations et des actes en gynéco-obstétrique (effrayant en francs guinéens mais l'accouchement est gratuit), et d'autre part un message de bienvenue "L'hôpital de Boffa vous souhaite prompte guérison".


Devant la maternité où je cherche l'enseigne, je remarque qu'elle ne comporte que deux lettres TE, où sont passées les autres ? Il faut deviner. Pour faire sérieux, tout le monde est invité à se diriger vers le lave-mains avec désinfectant distribué par l'Unicef pour circoncir ébola, sauf que... Les bidons sont vides ! Seul notre groupe, pour garder bonne conscience, accepte le partage de mon gel hydroalcoolique.

                   

Nous pénétrons dans une première pièce munie d'un lit qui me semble être une salle d'admission. La suite me dira qu'elle sert de vestiaire à tous, de salle d'attente sans doute et de repos pour les enfants du personnel (après constat), car oui ! On vient travailler avec les enfants en bas âge, solidarité et allaitement obligent ! Suit l'accès direct à la salle d'accouchement où trônent deux tables escamotables en ferraille fort usagée, équipées d'un matelas plastifié recouvert d'une alèse réutilisable. Pas d'étriers, les parturientes ne les apprécient pas. Ils sont relégués dans les cartons au dessus de l'armoire. Il n'y a pas de séparation entre les tables, donc on imagine deux parturientes se tenant le moral... ou pas... en profitant de l'accouchement de l'autre. 

               
          

Un pèse-bébé rouillé, une toise, un plateau muni de stéthoscopes manuels sont à portée de main sur une table. Ne cherchons pas d'appareil d'enregistrement cardiaque fœtal...

Sur l'autre, quelques boîtes rondes en fer avec des champs stériles et des instruments dont je ne peux vérifier le contenu et l'état. Il parait qu'il y a un autoclave et un stérilisateur. Certes, il y a du matériel à usage unique (gants, fils à coudre) à disposition. Au sol, une série de seaux de lavage et de désinfection, selon l'étape protocolaire établie.
Là, un peu sous le choc de la précarité des installations, j'essaie d'imaginer mes collègues en pleine action avec si peu de moyens. A vrai dire, je suis mal à l'aise et j'engage l'échange avec mes collègues d'un jour et les aides, toutes habillées de blouse jetable et bonnet, faisant grand effet de précaution, alors que nous sommes tout naturellement en civil !

Plus d'activités en ce moment car cinq mamans ont accouché cette nuit. Nous allons leur rendre visite dans la pièce voisine. Là encore, stupéfaction... de trouver des femmes alitées à même le matelas, à côté de leur bébé à peine visible, emmitouflés dans des linges personnels. Seule une femme souffrant des suites de son avortement réglé par le technicien de santé (chirurgien de base) faisant grand usage des seringues AMIU (sur la liste des achats de 2015), gît dans un coin de la salle, son téléphone portable collé à l'oreille.


Il faut savoir que chaque parturiente doit compter sur le soutien moral, logistique et financier de sa famille, souvent présente à chaque moment de la maladie. On ne sert pas de repas à l'hôpital, c'est la famille qui les apporte et qui se cotise pour payer les soins, à régler avant l'intervention.



On peut voir sous les lits, çà et là, des linges, de la nourriture, un désordre surprenant. Mais où est l'hygiène ? J'ouvre de grands yeux et me sens un peu perdue. Devant tant de dénuement, j'hésite à prendre des photos, mais ça ne semble pas poser problème.

Nous sortons du bâtiment avec tout le staff et allons visiter celui d'en face, la chirurgie gynéco-obstétrique. Je me fais expliquer qu'en cas de césarienne en cours de travail, on transporte la femme en brancard à main jusqu'en face. Tout le monde s'y colle et le spectacle profite à tous les passants. J'imagine la traversée.
A l'entrée, une salle de soins. J'ai du mal à me repérer car elle ressemble à un dépôt désorganisé... soit ! A côté, les bureaux du technicien de santé habilité à la chirurgie obstétrique et gynéco, dont la formation équivaut à un aide opératoire chez nous. Il nous explique qu'il se trouve le plus souvent devant des situations graves d'accouchement dystociques (difficiles, qui ne se déroulent pas normalement) comme la rétention ou mal position du deuxième jumeau, souvent mort avant de pouvoir intervenir.
Le taux de mortalité constaté sur le registre d'accouchement avoisine 40% ainsi que le nombre de césariennes pour paludisme et éclampsie. Ils comptabilisent 35 accouchées par mois ce qui représente 20 % des naissances mensuelles. Il faut dire qu'une grande majorité de femmes accouche à domicile. Ce sont bien souvent les cas médicalement compliqués qui se rendent à la maternité.
Parmi les quatre salles communes de suites de couches, deux sont désaffectées, deux possèdent 6 à 8 lits affectés aux césariennes ou autres pathologies de la grossesse. Là, parmi quelques femmes, se trouve une femme âgée isolée par un rideau de fortune, quelques linges suspendus à un fil. A plat ventre, elle souffre en silence de ses brûlures au 3ème degré dues à un braséro domestique. La perfusion pend à côté, non branchée, pourquoi ? Aucun calmant, aucun pansement, pourquoi ? Il n'y en a plus ! Le technicien soulève le linge personnel qui la recouvre en guise de drap pour me montrer l'étendue de ses brûlures. Je suis consternée de si peu de précaution aseptique et de la fatalité face à cette situation.

                                                                                                          

Je demande à entrevoir la salle d'opération. Du coin de l'entrée encombrée de cartons, je distingue une table mais j'ai du mal à reconnaître un appareil d'anesthésie. Y-en-a-t-il ? Je me fais expliquer que, pour une césarienne, une anesthésie locale de la peau est pratiquée suivie de l'extraction de l'enfant, puis d'une bouffée d'anesthésie pour recoudre. Aïe! Aïe! Aïe! D'ailleurs le lendemain, elle retourne chez elle, me confirme l'opérateur. C'est sûrement possible ici.

Assez décontenancée par cette première visite, nous sortons tous, m'assurant auprès de mes hôtes, d'avoir la possibilité de faire un stage le lendemain matin vendredi avec mes collègues sages-femmes et surtout Aminata. 
Vendredi 5 février à 9h - Bernard me dépose, mais j'attends dehors pendant une heure, la fin de la réunion du staff, tout en profitant de la rencontre d'un grand monsieur bien vêtu dans son costume gris clair. L'habit faisant le moine, je me fie aux apparences et les présentations sont faites. Je suis ravie d'avoir eu affaire à l'attaché de la préfecture passant par là pour accompagner un ami malade. Plus tard, un autre homme, tout de blanc vêtu, en boubou local, se présente. Là, j'ai droit aux salutations du pharmacien à qui je remets des médicaments contre la douleur et du tulle gras pour la vieille dame brûlée. Ils figuraient parmi les médicaments donnés par Evelyne que nous avons apportés.
Puis, arrivent les sages-femmes et enfin Aminata qui m'accueille très chaleureusement.
                                                           

Après avoir revu en détail les besoins en matériel et en produits de nettoyage, je suggère de reparler de leur méthodes de travail et de préciser leurs demandes : 

- Alèzes pour l'accouchement
- Matériel de désobstruction à nouveau-né (une simple poire est utilisée), soit une seringue d'aspiration et des sondes d'aspiration à usage            unique. 
- 1 bouteille d'oxygène (manipulation simple) mais la bouteille demande à être bien fermée après usage. Un seul Ambu respiratoire sert à                 insuffler de l'air dans les poumons du nouveau-né
- 1 tensiomètre. Il n'y en a qu'un pour les deux bâtiments, très vieux et malmené... J'en ai fait le constat.
- 1 ou 2 bassins de lit (en fer) pour récolter les liquides souillés. Un seul en tout et pour tout.
Par contre, je remarque que des grosses couches pour les mères sont à disposition ainsi que des couches pour bébé. Je demande donc à Aminata de me faire une liste pour le lendemain matin lors de la visite prévue avec le groupement de femmes affectées précisément au nettoyage des locaux et à la promotion de l'allaitement maternel. Je prends congé vers 12h. 
Samedi matin 6 février
Notre délégation est au rendez-vous, attendue par le groupement des femmes sous les arbres dans la cour, seul endroit frais.
Aminata, la présidente du groupement, gênée de mener cette réunion sans l'autorité légale, va convier Mr le directeur à venir se joindre à nous. Seule, la vice-présidente est empêchée, mais si certaines sont animées de demandes, d'autres s'assoupissent sur leur chaise. 

Tout d'abord, Aminata remercie l'école Marie-Eustelle et les élèves qui se mobilisent pour leur apporter du soutien. Bernard a expliqué toutes les actions qui ont été menées depuis 2 ans. 

Problème posé : la disparition d'alèzes. Elle serait due au vol des familles déclare la sage-femme mais Mr le directeur, avec une pirouette, nous explique qu'à cause d'Ebola, il a fallu les brûler toutes... Soit !
Il apparaît d'une grande nécessité :
- 1 stéthoscope adulte + un appareil à tension.
- 1 stéthoscope pour nouveau-né.
- 1 boîte d'accouchement complète comprenant : 2 pinces kocher, 1 paire de ciseaux bouts ronds, 1 paire de ciseaux bouts pointus, 1 pince à disséquer, 1 pince porte-aiguille, 1 valve, 1 pince de museux.
J'ignore combien de boîtes sont en fonctionnement mais devant l'insistance d'Aminata, je comprends qu'ils en manquent. 
Ayant donné une poche de body nouveau-nés, elle évoque le besoin d'en fournir ainsi que des bonnets en jersey tubulaire pour les bébés. 
Avant de nous quitter, nous convenons d'évaluer, d'après la liste définitive qu'Aminata doit établir, et en rapport avec les factures des produits pour l'hygiène et des matériels fournis en 2015, le coût des nouvelles nécessités pour permettre à la maternité de travailler avec du matériel plus moderne et de continuer l'effort de propreté des locaux, comme nous l'avons constaté cette année. 
                                                                                                                                               Le 20 février 2016 
Après réception du devis définitif, une subvention de 800 €  a été remise le  24 mars, en même temps qu'aux autres associations.



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