La Guinée dans tous ses états - février 2020

Séjour du 25 février au 11 mars 2020

manifestation du FNDC à Conakry
(photo wikimédia fondation)
A 6h30 ce 25 février, Annick Bouchereau, Christine Chevalier et Geneviève Coutanceau se sont donné rendez-vous chez Marie-Noelle Andréü. Toutes quatre sont en partance pour la Guinée. C’est Michel jan qui doit les conduire à l’aéroport de Nantes.
Pourtant hier soir, le doute s’est installé dans leur esprit. Un appel alarmiste exposant les risques d’un tel voyage les a troublées. Sébastien Rodts de Charente Maritime Coopération leur a fait part de recommandations reçues de l’Ambassade de France en Guinée et du Ministère des Affaires Etrangères visant à annuler ou à reporter tout déplacement en Guinée. Ce conseil faisait écho à la montée des tensions sociales provoquées par les élections législatives et la tenue d’un référendum constitutionnel.  
Prévues le 9 février, les législatives avaient été reportées au 16. Sachant que les périodes pré-électorales sont sources de conflits, de protestions meurtrières, il avait été décidé de partir après ; CMC le 19 et le CJ le 25. Ce report a privé le président Didier Tournade et Colette du voyage. Ils avaient réservé cette période de vacances avec leurs enfants.
Bernard Bouchereau qui fait partie des deux associations a pris l’avion le 19 dans le cadre du voyage organisé par CMC dont il est vice-président. Le président Jean-Marie Roustit étant empêché et les autres préposés au voyage souhaitant attendre de voir l’évolution des événements, il est parti seul.
Ce référendum constitutionnel qui s’est ajouté aux législatives déjà mouvementées amplifie encore les tensions. Pourquoi ce référendum ? Officiellement pour l’adoption d’une nouvelle constitution qui donnerait de nouveaux droits : l’égalité des sexes, une plus juste répartition des richesses en faveur des jeunes et des pauvres, l’interdiction de l’excision et le mariage des mineurs, entre autres. Pour l’opposition, le véritable projet est de supprimer la limite du nombre de mandats présidentiels, subterfuge d’un dirigeant qui, à bientôt 82 ans, entend briguer un troisième mandat à la fin de l’année alors que la constitution actuelle en limite le nombre à deux. Ce front contre Alpha Condé rassemble les partis d’opposition, la société civile et les syndicats. 

Dépitées, nous nous réunissons pour prendre une décision. Quelques heures avant le départ, c’est la douche froide, nos bagages sont déjà dans le véhicule prêté par la commune pour l’association. Nous emportons chacune deux sacs de 23 kg pour loger les effets à donner. Hier soir au téléphone, Bernard m’a parlé des affrontements entre les forces de sécurité et les manifestants dans certains quartiers de Conakry et les grandes villes mais pas de perturbations à Boffa.
A chaque élection le schéma se reproduit, nous l’avons déjà vécu. Je prends au sérieux ce que nous dit Sébastien en pensant que la situation s’est fortement dégradée depuis la veille, mais trouvant que la meilleure information est à prendre sur place, j’appelle Bernard. Il nous rassure, à Boffa tout est calme, nous pouvons venir. Il suffira de ne pas traîner à Conakry, de sortir de la ville mercredi car une grande manifestation est prévue jeudi. Selon les recommandations de l’ambassade, il nous a inscrit sur le site Ariane. Un cri de satisfaction résonne dans le salon. J’appelle Sébastien qui a été très pressant pour nous dissuader de partir, je le remercie de nous avoir alertées et lui fais part de notre décision de prendre l’avion comme prévu.

Il est donc 6h30 lorsque nous prenons la route pour Nantes. Nous devons faire un crochet par La Roche s/Yon chez Kadiatou Gaillardon qui a un colis à nous remettre pour son mari, à Conakry. Elle est déjà partie au travail, c’est son fils Christian qui nous confie le sac.
A l’aéroport, Michel nous quitte assez vite. Retour à Marans pour ramener le véhicule à l’atelier communal. Il est réservé en début d’après-midi.
Nous nous présentons à l’enregistrement à 9h. Mon sac hissé sur le tapis, l’employée me pose les questions rituelles dont « il n’y a pas d’ordinateur ? Et surtout pas de batterie ? » Le doute s’installe dans mon esprit. L’ordinateur donné par Mohamed Bah pour son frère, je l’ai mis dans mon bagage à main mais la batterie qu’il a pris soin d’enlever, qu’en ai-je fait ? J’ouvre le sac, j’opère une première fouille sans trouver, mais je ne suis pas sûre. J’aurais pu dire « il n’y a rien » mais consciencieusement j’extirpe un à un des vêtements… des livres… des trousses… et pendant ce temps, les filles m’attendent. Heureusement, peu de monde ce matin et plusieurs guichets sont ouverts, je ne crée pas de file d’attente. Lorsque tout ou presque est déballé, je peux assurer à la préposée qu’il n’y en a pas. Je retrouve la batterie dans mon bagage à main. N’aurait-il pas été plus simple de le vérifier d’abord… ?
Au scanner du bagage à main, c’est Marie-Noëlle qui est priée de déballer son sac. Rien d’anormal, nous pouvons passer. Et pourtant !!  Inspection déficiente et celle de Roissy aussi car, arrivée en Guinée, elle trouvera un couteau au fond du sac. Idem pour moi qui ai confié mon sac à dos rouge à Christine avec, dans la pochette, un petit couteau éplucheur acheté une semaine avant en Auvergne. Il passera tous les scanners, français et guinéens.
Le départ est prévu à 10h40, nous nous dirigeons vers la brasserie pour un café-croissant.
L’embarquement se fait à l’heure. Assises dans l’avion, les doutes de la veille s’envolent, c’est sûr, nous y allons. Une heure de transit à Roissy pour passer du terminal E au terminal D. C’est souvent un peu juste mais pas aujourd’hui, par deux fois nous prenons un bus.
Presqu'île de Conakry
12h40 : « Bienvenue à bord » Lorsque le plateau repas arrive, les unes et les autres soulevons nos verres à distance pour célébrer ce départ. L’avion n’est pas complet, dès que nous pouvons bouger, nous nous regroupons. Atterrissage à Freetown en Sierra Leone pour 1h30 d’escale. Une grande partie des voyageurs est descendue, nous restons très peu pour Conakry. C’est alors que les agents d’entretien interviennent. Munis de balais et d’éponges, ils déblaient les déchets, nettoient les allées et les sièges, enlèvent couvertures et écouteurs pour regarnir chaque place.


Fleuve Konkouré
A 21h40 (heure locale) atterrissage en douceur sur le tarmac de l’aéroport Gbessia Conakry. Pas de bousculade à l’attente des bagages, et surtout peu de Français. Les messages de l’ambassadeur ont dû les retenir dans notre pays. Avec nos 8 sacs de 18 à 23 kg, il nous faut plusieurs chariots. Un bagagiste s’empare du mien que je lui laisse volontiers. Au tapis roulant de la douane, on nous fait signe de passer. Happées par une bouffée de chaleur, nous rejoignons le parking en empruntant une rampe difficile à monter avec nos chargements. Comme convenu, Abou le chauffeur d’Emile nous attend, une pancarte « Comité de jumelage » à la main. Quatre jeunes hommes se précipitent pour approcher nos bagages du coffre du 4x4 Pajéro. Ils sont à l’affût pour gagner un peu d’argent. Tant bien que mal, Abou réussit à tout loger. Nous laissons tomber veste et pull sauf Geneviève qui garde son anorak. 

Premier voyage en Afrique pour Christine qui plonge d’un coup dans un autre monde. Comme nous les premières fois, elle est médusée par ce grouillement de population, ce trafic de voitures circulant en tous sens dans un brouhaha de klaxons et de voix criardes qui s’apostrophent pour se faire entendre. 
Par la vitre de la voiture, les rues animées défilent. Le soir, le petit commerce continue sur les trottoirs, les enfants jouent dans les rues et dans les caniveaux jonchés de détritus. Au quartier des menuisiers, billes de bois et planches encombrent une partie de la rue. En moins d’une heure, nous arrivons au quartier Matam, accueillies chez Emile Gaillardon d’origine française par son grand-père et guinéenne par sa grand-mère. Sa famille vit en France depuis une vingtaine d'années, leur double nationalité ayant permis aux enfants de faire leurs études dans les écoles françaises. Le colis de La Roche sur Yon, c’est pour lui. Sa sœur Hélène qui habite Orly est là, en vacances. Rafraîchissements pour tout le monde et un verre de sangria importé d’Espagne pour nous souhaiter la bienvenue. Wo nuséné ! Le calme, la végétation luxuriante et bien ordonnée du jardin tranche avec la rue. Une douce chaleur nous enveloppe. En neuf heures, nous sommes passées de l’hiver au plein été. 
          
Le jardin d'Emile
      
la cuisine
                                                     
Retrouvailles avec Jacques, son homme de confiance qui gère le bar attenant à la cour et avec sa femme Jacqueline qui a une échoppe dans la rue. Leurs enfants Emile et Pauline, un prénom familier pour Christine et moi, restent près de nous toute la soirée. Vincent le garçon coursier a été remplacé par Joseph.
Nous prenons possession de nos chambres. Marie-Noelle et moi en partageons une, celle de Geneviève donne sur le jardin. Chambre avec salon à l’étage pour Christine, près des appartements du maître des lieux. L’eau ne coule pas ce soir pour la douche. Dans les salles de bains, de grandes poubelles sont remplies pour parer aux coupures de l’eau de ville.
Rien n’est prévu pour le repas selon une consigne de Bernard qui supposait que nous allions dîner dans l’avion. Qu’à cela ne tienne ! Joseph va nous acheter deux boîtes de sardines et du pain. Il est déjà 22h30. Emile nous fait part des actualités. Vu les événements, nous partirons dès demain pour Boffa, une grande manifestation étant prévue jeudi à Conakry. Belle soirée sur la terrasse et au jardin où nous nous prélassons avant d’aller au lit.
Toutes les chambres sont équipées de climatisation et nous aurons la chance de ne pas avoir de coupure d’électricité. Pour ma part très bonne nuit, réveillée un peu tôt par le chant aigu et répétitif d’un oiseau niché dans le grand avocatier. Ce n’est pas le cas de ma compagne de chambre qui a ressassé une histoire de clé qu’elle croyait égarée.

Mercredi 26 février
Joseph apporte le pain frais et la vache qui rit. Je fais le café à la machine, très serré pour Emile. Il y a aussi des dosettes de nescafé et du thé.
Le propriétaire du 4x4 Nissan que nous allons louer arrive à 9h. C’est Emile qui l’a contacté courant février et Bernard a négocié le prix avec lui mercredi dernier en arrivant. Il a été décidé qu’il nous conduirait cet après-midi à Boffa et que Bernard prendrait la relève au volant. Exceptionnellement, il veut bien nous le louer sans chauffeur. C’est avantageux : 400 000 FG par jour (38€) pour 5 personnes. Il prendra 100 000 de plus pour nous conduire à Boffa et son retour en taxi.
A son tour, monsieur Barry, notre cambiste de rue arrive avec le pactole dans sa besace. Nous nous installons dans le salon. Il nous remet 20,8 millions à nous partager. 500 € chacune à 10 400 Francs guinéens le change. Recompter tous les billets de chaque liasse comme c’est de coutume, prend un certain temps. Notre magot à peine empoché, voilà que Marie-Noelle, désignée responsable de la caisse commune, nous réclame 400 000 FG.
Nous sortons visiter le quartier. D’abord le parc de l’hôtel « plein sud » tenu par François, un français que nous connaissons depuis des années. Il n’est pas là ce matin, son hôtel est en stand-by car il y a beaucoup de travaux à faire. Dans ce havre de fraicheur, Geneviève nous énonce le nom scientifique des arbres et des plantes tropicales. En flânant sous les palmiers, les frangipaniers aux fleurs odorantes, les thevetia du pérou, ce laurier jaune qui produit du latex extrêmement toxique, nous accédons à l’allée centrale, émerveillées par son panorama sur la mer. Désenchantement lorsque notre regard se pose sur la plage derrière le mur de clôture. C’est une véritable poubelle. Amoncelés sur le sable, déchets et sachets en plastique volettent au vent et oscillent dans le flux et le reflux des petites vagues sur la rive. Nous continuons dans la rue jusqu’à ce qu’Emile nous happe sur le trottoir, inquiet de nous trouver seules dans les rues. Son ami policier, qui passait là par hasard, pense lui aussi que nous devons rentrer. Avec Emile c’est toujours le même scénario, il a peur pour nous, même lorsqu’il n’y a pas de danger. Je fais cette promenade dans le quartier Matam tous les ans avec chaque groupe et tous les ans, je perçois son dissentiment. Le quartier Matam est réputé calme. Ses craintes sont-elles en rapport avec le siège d’un parti politique au bout de la rue ? Sa réponse est toujours la même. Non ! mais il y a des vols. Nous n’emportons rien avec nous, l’appareil photos peut-être... Marie-Noëlle qui détient le magot du CJ ne le transporte pas sur elle, il est sous clé dans la chambre.
                                                                                               Quartier Matam              

L'affaire est entendue, nous embarquons dans le Pajero pour l'accompagner au marché Bonfi. L’insalubrité de la ville devinée hier soir de nuit, saute à la figue ce matin en pleine lumière et particulièrement aux abords des marchés ou les détritus s’amassent chaque jour un peu plus dans ce pays où il n’y a pas ou très peu de collectes des déchets. Bien que je connaisse les lieux depuis des années, c’est toujours la même désolation de voir la population vivre dans cet environnement. Alors pour Christine qui le découvre, le choc est rude. Marie-Noelle connait, elle est venue quatre fois, Geneviève se réacclimate, son second et dernier voyage date de 2008. Dans ce domaine, rien n’a changé. Et pourtant, de ce décor délabré, ressort une ambiance étourdissante, des couleurs enchanteresses, la noirceur des images est balayée par l’abord sympathique et le fabuleux accueil des guinéens.
                     
        
marchande de beignets
Avec Abou, nous nous faufilons dans le souk au toit de tôle maintenu par des perches ou les étals faits de planches et de tables bancales se présentent de guingois de chaque côté des allées défoncées. Les marchandises sont par quartier. Sur les bancs de légumes, le vert tendre des salades qui tranche avec le rouge vermillon des piments, suivi des carottes et aubergines, font oublier la saleté du lieu. C’est un peu moins vrai à l'approche des bancs de poissons. L’odeur ambiante des bongas fumés et autres poissons frais ne met pas en confiance, alors que nous les trouverons très bons, cuisinés au riz gras. Ce sera notre repas de midi.
Dans une grande halle, des dizaines de machines à coudre crépitent sous les pieds de garçons et de filles dans un joyeux brouhaha. Pour la confection d’une robe bien ajustée, d’un boubou au plastron brodé ou d’un complet pour les hommes, les clients choisissent le tissu parmi les pagnes colorés accrochés sur des perches au fond de l’atelier.
                            
                                   

Le marché Bonfi
                                          

Retour chez Emile. Dès 10h, la cuisinière a allumé les réchauds à charbon de bois dans le coin du jardin réservé à la cuisine. En Guinée et plus généralement en Afrique, les cuisines sont sous un appentis en plein air. Les combustibles utilisés sont le bois et le charbon de bois, même en ville. Pendant que le riz bouillonne dans une marmite, elle frit les poissons dans la poêle. A 13h, le grand plat de riz gras au poisson nous est servi sur la terrasse avec ananas en dessert. Délicieux !
Je prépare mon cadeau pour Marietou, la jeune voisine d’Emile que je vois tous les ans. Elle correspond avec Margot, la sœur de Pierre notre petit fils. Emile me stoppe, elle est décédée voici trois semaines. Elle est rentrée à l’hôpital pour des douleurs aux reins et n’en est pas sortie vivante. Sa famille ne sait pas de quoi elle souffrait. Elle avait 23 ans. Quelle tristesse ! Je verrai sa mère ce soir pour les condoléances.

Monsieur Karamoko Keïta arrive à 14h. Ce n’est pas une sinécure pour loger nos huit sacs dans le coffre de son 4x4 Nissan, plus petit que le Pajero d’Emile. Aidé de Joseph, il réussit à tout faire rentrer. Nous garderons nos bagages à main dans l’habitacle.
« Ce n’est qu’un au revoir » à Emile, Hélène, Jacques, le petit Emile et sa sœur Pauline, la cuisinière et Joseph… l’amoureux transi qui, arborant un visage digne des acteurs américains, a déclaré sa flamme à Christine ce matin. Me prenant pour sa mère ou sa grande sœur, il est même venu en toute discrétion me demander de lui accorder sa main (j’exagère juste un peu). Geneviève nous dira plus tard, qu’à elle aussi, il a fait du gringue. Ces dames peuvent être ravies… il est jeune et beau garçon. Distribution des enveloppes avant de partir. Sur les recommandations d’Emile quant à la somme, nous remettons 50 000 à la cuisinière, à Abou et à Joseph.
Énormément de circulation pour sortir de Conakry. Lorsque nous sommes à l’arrêt, bloqués dans les encombrements, les vendeuses à plateaux se présentent à la fenêtre en clamant à la cantonade en langue soussou « yé glacée (eau fraîche) - léfuré (orange pelée) - tokhè-khèlè (œufs) - tami (pain) - banani (banane) ».
Christine est désolée de ne pouvoir prendre de photos, elle a fait tomber son appareil dans les toilettes chez Emile. Geneviève et Marie-Noëlle s’y emploient, discrètement. Il s’agit de ne pas avoir dans le viseur, un militaire ou un policier qui sont rarement d’accord pour qu’on leur tire le portrait. L’année dernière j’ai passé une heure à parlementer avec les policiers qui cherchaient à me soutirer de l’argent parce que mon appareil était posé sur le siège arrière de la voiture et qu’ils affirmaient que je les avais pris en photo, ce qui était faux. Ce n’est pas pour cela que je ne l’ai pas pris cette année, mais j’ai tellement de photos. J’en ferai tout de même avec mon téléphone. Certaines situations insolites sont irrésistibles.  
* Le chien ne fume pas aujourd’hui. Aucun nuage accroché au sommet du Mont Dixinn qui sous un certain angle ressemble à un chien.
convoyeur de bauxite
A l’approche des fleuves Tibola et Fatala, des pylônes enjambent le pont. Je suis stupéfaite des travaux faits en un an par les chinois. Pour acheminer le minerai de bauxite du site d’extraction au port, ils ont construit un gigantesque ouvrage. La bauxite parcourra 22 km sur ce convoyeur à bande aérien avant d’atterrir sur un tapis roulant de 200 m jusqu’au port fluvial en cours de construction sur la Fatala à quelques kilomètres du port de pêche de Boffa. La suite du convoyage sera assurée sur le fleuve par des barges de 12 000 tonnes puis transbordement en haute mer dans des navires de fort tonnage.
Construction du port fluvial de Chinalco sur la Fatala
 (photo journal Jeune Afrique)
Un article dans le journal "jeune Afrique" du 12/12/2019 relate que le responsable chinois de Chalco Guinéa Company à Boffa, filiale du géant Chinalco affirme qu’à terme, 12 millions de tonnes par an de bauxite seront acheminés en Chine pour être transformés en aluminium. La Guinée possède le plus grand gisement de bauxite au monde.
Leur quartier général à l’entrée de l’agglomération de Boffa s’est fortement étendu. La petite résidence chinoise est devenue immense. Derrière le mur de clôture, plusieurs grands immeubles ont poussé comme des champignons.

Bernard nous attend à l’hôtel Niara Belly. Chacune prend possession de sa chambre et « miracle ! la lumière est ! » Tous les soirs la ville fournit l’électricité de 19h à minuit. Par contre, l’eau ne coule pas au robinet mais nous avons le seau et l’écuelle pour nous asperger. 
Odile Barry chez qui nous dînons habituellement n’arrive de Kamsar que demain, nous allons chez Katy-resto, un nouvel établissement où Bernard a mangé du très bon poulet hier. Au bord de la route, les gallinacées rôtissent sur un brasero à côté de portions de viande que le cuistot maintient au chaud enveloppées dans du "papier sac de ciment". Le poulet a dû fréquenter du poisson, il est légèrement iodé. La saumure, cocktail de fumée d’échappement et de poussière soulevée par les voitures qui rasent les grillades en passant, n’en atténue pas le goût boucané. Les patates frites sont bonnes.
Bernard nous raconte ses cinq jours à Boffa. Il a passé du temps à la base CMC et fait des visites à nos nombreuses connaissances car le programme de Charente Maritime Coopération a été annulé. L’événement de la semaine, c’était la pose par le président de la république, de la première pierre du nouveau port de pêche. En cette période électorale, sa venue ne semble pas anodine. Pour garder une position neutre, CMC a décidé de ne pas assister à cette cérémonie où pourtant, l’association est partie prenante. Avec l'équipe de la base, Bernard s’est contenté de regarder passer l’hélicoptère présidentiel.
Le maquis de Roger
En rentrant, détour par le maquis-épicerie (café) de Roger Sagno, "sa petite école" comme il aime à dire. Les hommes, assis sur les bancs autour des tables basses dissimulées derrière une cloison de nattes tressées, semblent des élèves très assidus.
C’est avec grand plaisir que nous retrouvons Roger, le vice-président du Comité de jumelage de Boffa. L’homme est fort agréable, sérieux, joyeux, parlant un bon français pour des échanges très intéressants. Il est 23 h passées lorsque nous rejoignons l’hôtel. Grande nouveauté "ça clim" dans toutes les chambres jusqu’à minuit, à l’extinction des feux.

Jeudi 27 février
Sortant d’un hiver pluvieux en France, quoi de plus agréable qu’un petit déjeuner sur la terrasse du Niara Belly. A 8h30 le mercure atteint déjà 25°. Alcény a mis son grand tablier blanc pour nous servir café, thé, Pain, beurre, confiture, bananes. La journée commence bien. Sauf que Marie-Noëlle nous réclame encore des liasses. Cette femme aime l’argent.

Nous avons rendez-vous chez Roger à 9h30 pour finaliser le programme ébauché avec Bernard.
La plupart des groupements sont prévenus mais Roger téléphone pour confirmer notre venue et s’assurer que les responsables seront présents. Quelques changements interviennent en particulier pour l'Île de Dary qui passe de lundi à mercredi.
hôtel Niara Belly
Il est déjà midi lorsque nous nous quittons. Déjeuner fruits à l'hôtel sous le manguier : bananes, oranges, pastèque.  
C’est une coutume, pique-nique à midi avec des fruits, des beignets et du pain achetés au marché que nous mangeons en plein-air où dans un maquis pour l’accompagner d’une boisson fraîche. C’est la première fois que nous sommes là fin février/début mars, il fait très chaud, beaucoup plus qu’en janvier. Après la sieste, une grande braderie s’improvise dans la chambre de Marie-Noëlle. Nous déballons les vêtements d’enfants collectés par la crèche Multi Accueil de St Jean de Liversay à l’occasion du 30ème anniversaire de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant en novembre 2019. Merci à sa directrice qui a organisé l'opération, à Priscilla qui a pensé à notre association, aux familles qui ont donné. 
Le lien https://comite-jumelage-marans.blogspot.com/2019/12/dons-pour-les-enfants.html
les dons du Multi Accueil
de St Jean de Liversay
Pyjamas, tee-shirt, short… s’empilent sur le lit par tailles. Nous les glissons dans de grandes poches pour chaque groupement en y incluant du matériel scolaire, des jeux, des ballons de foot pour les enfants, des bijoux pour les mamans. Record cette année de cadeaux apportés par ces dames. Marie-Noëlle en a pas mal, Geneviève encore plus et c’est Christine qui détient la palme. Elle a rempli ses valises d’objets de toutes sortes, bien appropriés.

Le magot placé en sécurité dans le coffre de CMC, circuit dans la ville. La petite église de pierres rouges est la plus ancienne église catholique de Guinée. Un amphithéâtre d’une capacité de plusieurs milliers de personnes a été construit en 2013 pour accueillir les fidèles de toute la nation qui, depuis 1963, se rendent à Boffa chaque année au mois de mai pour le grand pèlerinage. On comptait 25 000 pèlerins en 2019. Il était de coutume de faire le trajet à pied, un peu moins maintenant mais certains s’imposent toujours cette épreuve. Ils prennent la route le dimanche pour arriver le jeudi à Boffa, berceau du christianisme, là où le premier missionnaire catholique entra en Guinée en 1875. Dans ce pays à 87 % musulman, 9 % d’animistes et seulement 4 % de chrétiens, Boffa en mai, c’est la Mecque. Dieu merci, musulmans et catholiques s’entendent bien. Pas d’intégrisme, très peu de femmes sont voilées, surtout en basse guinée. C’est un peu différent dans le Fouta Djalon historiquement musulman par la fondation de l’état peul musulman en 1725. Quant à l’animisme, les 9% sont largement dépassés. En Afrique, il y a tellement de problèmes à résoudre qu’un seul Dieu n’y suffirait pas. Invoquer les ancêtres, la nature et les animaux n’est pas surérogatoire.
                     
              Eglise St Joseph de Boffa                Récolte des graines de palmiste   -    Huile de palme rouge                                                                                                                                   (pulpe) - blanche (noyau)
La piste conduit à l’école de la mission. La cour est vide, les enfants sont partis mais sous l’apatam, plusieurs femmes égrainent des grappes de palmistes pour faire l’huile rouge. La directrice est là, elle nous fait entrer dans le salon. L’école se porte bien, elle refuse des élèves tant il y a de demandes. Beaucoup de familles musulmanes inscrivent leurs enfants à l’école catholique dont elles connaissent le bon niveau d’enseignement. Nous donnons une poche de fourniture pour l’école et des médicaments que Ninou nous a confiés pour le Monastère de Friguyagbé mais puisque nous n'irons pas cette année, elle sera contente que la mission de Boffa en profite. Nous reviendrons un matin pour voir les enfants. En suivant la piste qui longe l’école et bien au-delà, les premières tombes se distinguent dans l’abondante végétation. Tous les ans, nous rendons visite à nos chers Léon et Marie qui reposent ici dans le petit cimetière catholique. 
La plaque que nous avons fait apposer sur la stèle de Léon témoigne de notre grand attachement à notre ami. Les personnes qui l’ont connu ont tenu à participer à cet hommage. Il nous a quittés en mars 2013. Nous avions écrit à sa famille « Quiconque trouvait Léon sur son chemin, ne pouvait plus l'oublier.» 
Nous pensons toujours qu’il est irremplaçable mais nous avons trouvé Roger sur notre chemin ; il réunit beaucoup de ses qualités en termes de complaisance, de convivialité, de culture dans les deux sens du mot, de récits de cette Afrique traditionnelle qui nous enchantent. 
Nous nous attardons au port qui, pour un temps, a perdu de son charme. Des tas de graviers sur l’embarcadère masquent les pirogues colorées des pêcheurs qui arrivent à quai. 
En prenant la rue du marché, halte chez Léon ou plus exactement chez son fils Jean et Adama sa femme qui occupent les lieux. Il dort, nous dit la petite fille qui frotte une marmite sous l’appentis de la cuisine. D’une oreille seulement, car quelques minutes après, il sort de la maison. Nous parlons du pays, de l’école qui est perturbée pendant cette période d’élections où beaucoup d’enseignants n’assurent pas les cours. Jean est professeur d’anglais mais en ce moment il est surtout le leader à Boffa du mouvement du Front National pour la Défense de la Constitution. Cet engagement fait peur à Adama qui, la semaine dernière a confié à Bernard, ses craintes concernant son mari qu’elle trouve trop exposé aux réactions du pouvoir. Il organise des manifestations à Boffa qui sont pour le moment pacifiques malgré sa verve contre le président et ses sbires.

Une heure plus tard, c’est chez sa sœur Odile que nous nous rendons par une piste gâtée prise à gauche au rond-point. Elle est arrivée de Kamsar cet après-midi, une ville située à 120 km au nord où elle occupe le poste de sous-préfète adjointe. Après le décès de Léon, elle a voulu continuer à nous préparer les repas du soir comme elle le faisait chez son père. Nous étions ravis de pouvoir nous retrouver avec Marie sa mère, dans ce lieu où nous avions tellement de souvenirs heureux avec Léon, qui nous manquait. Adama, que Jean avait fait venir pour s’occuper de Marie, aidait à la cuisine. Ça, c’était la première année. Le décès de sa mère l’année suivante en 2014 et une mésentente avec ses frères a éloigné Odile de sa famille qui s’est arrangée pour nous embarquer avec elle dans ce lieu isolé où elle a fait construire un apatam-restaurant. De son côté, Jean a lui aussi fait des travaux pour améliorer sa paillote et ouvrir un restaurant où nous aurions aimé continuer nos repas du soir. Mais elle l’a devancé en nous faisant manger chez une amie en attendant la fin de ses travaux. Odile est une fille formidable que nous aimons beaucoup, elle est venue passer un mois chez nous avec son père, c’est une amie de notre fille Pauline, elle est travailleuse, honnête, charmante… et autoritaire. Personne de CMC ou du Comité n’a osé contrarier son plan. Je lui ai dit que nous préférerions être en ville, que ce serait tellement mieux avec la famille réunie, mais sa détermination l’emporte. 

Le staff du Petit Versailles
Nous arrivons un peu tôt. Entourée de sa fille Mariam, de Nagnouma, de sa cousine Eulalie, elle s’affaire sous la toile accrochée à l’apatam qui abrite la cuisine. Ce n’est donc pas avec Odile apprêtée d’une jolie robe à volants mais en tee-shirt et pagne de travail que nous nous embrassons. Grande joie de les retrouver ! Que de naissances depuis l’an passé. Odile est grand-mère, un petit Boniface est accroché au dos de Ma Chouchou et Nagnouma porte dans ses bras Mariam la fille d’Aboubakar que nous avons connu collégien le jour et au service de son oncle Léon le soir.
« Le Petit Versailles » baptisé ainsi pour ses colonnettes, a été inauguré en 2017 par Jean-Marie et Bernard. Tous les ans, nous voyons une évolution. Cette année, Odile a fait clôturer la propriété avec des nattes. Mais le plus grand développement s’est opéré dans l’environnement où beaucoup de maisons ont été construites dont une très belle tout à côté. Je vous en parlerai plus tard.
Ce soir pour la mise en route, le repas est simple mais le rituel "bouche à bouche" nous attend, dégusté avec les kansis (arachides). Je crois que c’est François de l’hôtel "Plein sud" à Conakry qui a baptisé ainsi le pastis additionné de jus de gingembre.

Vendredi 28 février
Il est à peine 9h lorsque Roger arrive à l’hôtel nous rapporter la nouvelle. Sarah Bah est décédé. Nous le connaissions depuis des années. Il a toujours été dans le conseil municipal. Adjoint de Aïssata Soumah lors de la cérémonie du jumelage en 2007, il était toujours conseiller pour l’anniversaire des 10 ans où dans son discours, il avait surnommé Bernard « le grand sorcier qui a tout noué ». Il était à nouveau adjoint de Saidouba Kissing Camara, le maire actuel.
Notre programme est chargé aujourd’hui, nous présenterons nos condoléances à sa famille demain. Direction la rue principale de Boffa.

Groupement ARTEG Informatique
        Président Mr Mohamed Camara
L’établissement propose des services payants : photocopies, frappe de documents, connexion internet, etc…
Le jeune homme qui travaille sur un ordinateur appelle Mr Camara au téléphone. Il va arriver dit-il. Roger s’agace « je l’ai prévenu plusieurs fois, hier soir encore. Il devrait être là. »
Mais il n’arrive pas. Le garçon ne trouve pas de bonnes raisons à son absence. Nous patientons encore puis Roger tranche « Nous partons !» A son ton, nous comprenons qu’il n’y aura pas de rattrapage. Il n’est pas très satisfait de l’activité de ce groupement pour l’année 2019. Nous aurons la confirmation quelques jours plus tard par Tatiana de CMC qui a voulu les faire travailler. Elle dit qu’ils ne sont pas assez rigoureux dans leurs prestations, qu’elle a attendu longtemps, qu’elle a dû revenir plusieurs fois pour ce qu’elle demandait.  
Pourtant, ils sont bien équipés en ordinateurs, imprimante, plastifieuse. Avec la subvention de 2018, un photocopieur couleur a été acheté et celle de l’année passée était destinée à un panneau solaire pour économiser le carburant qui fait tourner le groupe-électrogène dans la journée. Nous apercevons d’ailleurs un petit panneau sur le toit. Sans doute pas suffisant pour l’ensemble du matériel. Dommage ! il pouvait prétendre à une 3ème et dernière subvention. 
Sans plus tarder, nous prenons la direction de Thia, à la sortie de Boffa vers Boké.

Groupement maraîcher Boffafé     
          Présidente Mme Safouratou Sylla 
Groupement maraîcher Limaniya  
          Présidente Mme Yarie Bangoura
Les deux groupements se sont rassemblés pour nous accueillir au village, sous les manguiers. Quelques femmes dansent au son de la musique interrompue par la voix criarde du speaker qui annonce notre venue. Elles nous entraînent dans le cercle dessiné par une rangée de chaises où les notables du village sont assis. En face, les enfants se disputent une place sur un banc. Nous entrons dans la ronde. Soulevant à peine les pieds, genoux légèrement pliés, le corps imprime à chaque pas un infime balancement rythmé par la musique. La posture dirigée vers le sol donne une impression de poids sur les épaules. Une daba (houe) à la main, le bras s’agite d’avant en arrière en mimant le travail de la terre. En même temps que la ronde s’agrandit, le tempo accélère. Une griotte mène la revue à coups de sifflets, puis se détachant du cercle, un flux d’énergie semblant la traverser, ses bras voltigent, ses pieds tapent le sol de plus en plus vite, stimulée par les cris et les rires des femmes tout autour. Transcendée par les frappes toujours plus rapides du djembé dont on ne sait qui, de la danseuse ou de l’instrument, impriment le tempo, la croupe et les hanches ondulent dans une posture de séduction qui galvanise la foule. Comme nous tous la première fois, Christine est subjuguée. Je dois dire que vingt-sept ans après, je le suis toujours. Autour de nous, des cases, des tissus chatoyants, la musique, la danse, la chaleur, la gaieté, les manguiers, les palmiers ; qui y résisterait ?
   

La danse occupe une place fondamentale dans la vie sociale des africains. C’est un mode d’expression pour de multiples raisons. Elle est prière, thérapie, accueil, séduction, divertissement. Elle fait la pluie et le beau temps. Tout leur univers est imprégné de danse. Que nous y participions leur fait plaisir et les amuse aussi.
On nous invite à nous asseoir. Roger prend la parole pour présenter la délégation en précisant qui est déjà venu… souvent, un peu ou pas du tout. A partir de ce moment, Christine devient "la nouvelle" à chaque visite, pour chaque groupement.    
                         
Les deux présidentes énumèrent leurs acquisitions en soussou, que Roger nous traduit. Au cours de l’année 2019, elles ont acheté du matériel et des semences. Le solde a payé des ouvriers pour défricher une nouvelle parcelle. Le mieux est d’aller voir sur place.
A la queue leu leu, nous prenons un sentier tracé dans les broussailles. Les enfants nous précèdent en frappant des couvercles de marmites en guise de cymbales. Le soleil déjà haut nous agresse d’un coup. Nous parcourons presque un kilomètre avant de ressentir une agréable fraîcheur à l’approche du bas-fond Limaniya. Derrière un rideau de palmiers et de bananiers, de petits rectangles verts s’étendent jusqu’à la lisière de la brousse. Chaque planche est travaillée en billons, entourée de tranchées pour l’irrigation en saison sèche et le drainage pendant l’hivernage. Des jeunes filles puisent l’eau dans plusieurs grands trous avec la traditionnelle cuvette et maintenant les arrosoirs récemment achetés. Certaines années, l’eau manque avant l’arrivée des pluies fin juin.
                                    

Madame Sylla nous montre une partie qui vient d’être replantée après le passage d’un troupeau de bœufs qui a tout saccagé. Aubergines, tomates, soucoulis (aubergine blanche amère) étaient à maturité, c’est une perte pour le groupement. Les conflits entre les soussous agriculteurs et les peuls éleveurs durent depuis la nuit des temps. Sans aucune barrière, les animaux errent au gré de leur appétit. Pendant la transhumance, des enfants sont chargés de surveiller les terrains même la nuit, pour les chasser.
                                            

Manioc - Piment
Le maraichage Boffafé situé à environ 1 km, dans la trajectoire, a subi lui aussi des dégâts. Les cultures sont les mêmes avec plus de patates douces et de manioc qu’à Limaniya. Le paillage favorise l’humidité.  
 Un agrandissement est en cours, le défrichement est fait, des ouvriers agricoles labourent. Tout cela à la main. Dur métier lorsque l’on voit la densité de la brousse recouverte d’une végétation arbustive. Avec machettes et coupe-coupe, il a fallu dégager le terrain  mètre par mètre, sélectionner certains arbres à garder, couper les arbustes qui ont été transformés en charbon de bois ou vendus en bois de chauffe, brûler les broussailles. Le travail n’est pas terminé, la présidente compte sur la prochaine subvention pour l’achever.
A tour de rôle, les femmes vont vendre sur les marchés environnants dont Boffa et Walia, les plus importants.

Retour au village où un présent nous attend : une cuvette de fruits et légumes que nous partagerons entre Odile et Roger. Nous gardons fruits, tomates et concombres pour midi. Nos poches de cadeaux sont à peine remises aux trois président(e)s que les femmes s'approchent pour la distribution. Recevant toujours quelque chose lors de nos visites, nous avons commencé à apporter nous aussi des présents pour remercier.

Il est tard lorsque nous arrivons au marché pour faire les courses. La journée ville morte demandée par le FNDC semble peu suivie au marché, un peu plus dans la grande rue où pas une échoppe n’est ouverte pour acheter un pack d’eau. Harassés par la chaleur, déjeuner dans le maquis de Roger avec une boisson fraîche. Retrouvailles avec Rosalie sa femme qui était au marché hier lorsque nous avons fait le programme. Le rideau rose vaporeux du maquis se soulève, une femme entre et s’esclaffe en voyant les fotés (blancs). Ses yeux trop brillants, sa voix gouailleuse un peu provocante, sa démarche hésitante ne trompent pas. Et pourtant l’alcool a épargné son beau visage et son élégance, depuis 20 ans qu’elle fréquente les maquis. Pour nous c’est une revenante, elle n’était plus à Boffa ces dernières années.  Elle s’installe à notre table. Bernard jouant les redresseurs de torts ne veut pas lui offrir sa bière Son sourire est sympathique, on a envie de lui faire plaisir. Que nous payions ou pas, Roger lui ressert une bière. Alors !! 
Déjeuner au maquis
Avec le couple Rosalie et Roger qui la surnomme Mme Lézé, elle joue au jeu de la maîtresse qui est ici chez elle. Les deux femmes s’invectivent en riant. Elle n’est pas contente de Bernard et le lui fait savoir tout en usant de son charme. Il rétorque qu’il a déjà quatre femmes en nous désignant. Je fais valoir que je suis la première, que je peux donc donner mon avis. Dans la réalité la première femme a un statut particulier mais pas celui d’empêcher son mari de se remarier. Nous passons un bon moment. Les gens d’ici adorent la plaisanterie, les situations comiques, théâtrales. Ils rient de bon cœur en toute occasion.
Passée la canicule du début d’après-midi, nous repartons pour rencontrer trois autres groupements de maraîchers.

Groupement maraîcher Waliyétébé de Torodoya
          Présidente Mme Kadiatou Bah
Groupement maraîcher Mönéba
          Présidente Mme Aïssata Cissé
 Groupement maraîcher GM Drami
          Président Mr Mohamed Drami

Les trois nous reçoivent ensemble. Ils sont dans le même secteur à 5 km de Boffa sur la route de Conakry, en prenant le sentier à gauche un peu avant le pont de la Fatala. Djembé et tambour-bidon jaune pour nous accueillir devant la maison du chef de village de Torodoya. C’est mieux que la sono. Comme il se doit, on nous entraîne dans la danse. 
Nous ne nous faisons pas prier sauf Bernard qui ne danse pas. Il préférerait jouer du balafon. Nous singeons tant bien que mal la gestuelle en essayant de garder le rythme et lorsque l’une d’entre nous accélère la cadence, l’assistance fait cercle autour d’elle en poussant des cris de joie. C’est grisant. Dès les premières notes, les enfants se sont précipités pour se trémousser en tapant des pieds dans la poussière qui maintenant envahit l’espace. On sent que le rythme est inné chez eux. Tout petit, ils le partagent avec leur mère. C’est impressionnant de voir les bébés ballottés, secoués dans le dos de leur mère. Rien ne les arrête pour un pas de danse. Une jeune fille se déhanche avec aisance, une cuvette remplie de légumes posée sur sa tête. Tout est spectacle sans mise en scène.
Roger stoppe les festivités pour en venir aux choses sérieuses. Les maraîchages sont un peu loin, nous reprenons le véhicule sur une piste de plus en plus étroite et sablonneuse, au milieu de hautes herbes jaune paille qui s’écartent sur notre passage en nous fouettant le visage lorsque nous nous penchons un peu trop à la vitre de la portière. Les derniers 300 mètres se font à pied.
                                       

Dans ce havre de verdure qui tranche avec le sentier aride, une dizaine de femmes et autant d’enfants travaillent au désherbage et à la cueillette au marais Waliyétébé. Des jeunes filles lancent à la volée l’eau des calebasses qu’elles plongent dans des seaux remplis au fossé. De petites gouttes perlent sur les feuilles d’aubergines, de piments, de patates douces. Madame Bah nous montre deux carrés de tomates malades. Bernard parle de la bouillie bordelaise qui n’est pas connue ici. Geneviève émet une réserve sur ce fongicide naturel employé de longue date contre le mildiou. Le cuivre peut se révéler toxique et polluant pour l’environnement s’il est utilisé en grande quantité. Ce qui ne serait pas le cas, la culture de tomates est peu importante. Roger doit se renseigner. Le premier remède est d’arrêter l’arrosage à la volée. Geneviève dispense ses conseils de spécialiste en duo avec Roger l’agronome qui épaule les femmes tout au long de l’année. Chacun d’eux nous énonce les noms latins de plantes que nous oublions très vite.
Du matériel a été acheté : Dabas, pelles, coupe-coupe, seaux, arrosoirs… Le projet est de continuer l’irrigation sur tout le terrain. 

Nous reprenons le sentier en bifurquant vers le marais Mönéba. Des enfants devant un feu de bois nous intriguent. Qu’est-ce qu’ils touillent dans leur petit chaudron ? Ce sont les fruits des anacardiers que nous venons de photographier en passant. Un moment après, un garçon nous apportera les noix de cajou grillées.
C’est la première fois que nous rencontrons ce groupement. Mme Cissé remet la liste des 15 membres. Nous avons déjà l’agrément car le document avait été transmis avec leur demande l’année passée. Elle explique qu’un feu de brousse a ravagé une partie des cultures placée trop près de la savane avec un pare-feu inefficace. Du matériel entreposé à proximité a brûlé. Il faut le réaménager et racheter arrosoirs et dabas.  Il reste encore une belle parcelle avec du manioc, piment, patate douce, santoui l’oseille de Guinée pour faire le bissap, quelques pieds de taro et cette plante à fleurs violettes qui ressemble à du grand trèfle dont j’ai oublié le nom. A chaque question la concernant, toutes les femmes donnent la même réponse « a fan ! a gnakhun ! »  (C’est bon, c’est doux). Ajoutée à la viande, elle l’attendrit et la cuit plus vite, c’est un peu comme du bicarbonate nous dit Roger.  
Après le réaménagement de la partie détruite, le groupement veut faire défricher une parcelle supplémentaire. La subvention paiera les ouvriers pour le faire et les semences pour mettre en culture.
Le groupement GM Drami, nous le connaissons. Depuis 3 ans, nous avons pu apprécier le sérieux de son président. Cette année, ils n’ont cultivé que du piment, c’est ce qui rapporte le plus en ce moment dit-il. Avec l’argent de l’année dernière, ils ont fait une grande acquisition, une motopompe payée 1,625 million de FG (160 €). Leur chance est d’avoir un fossé suffisamment grand où l’eau courre. D’autres maraîchers l’avaient envisagé mais leur trou d’eau ne donnerait pas assez de débit. A partir du moment où l’arrosage était plus aisé, le groupement pouvait envisager d’agrandir : 1,540 million dépensé pour le débroussaillage, la coupe des arbustes, le labour + 20 sacs de fumiers à 25 000 FG l’unité.
Depuis 10 ans, nous avons vu le maraîchage se développer à Boffa. Un article de l’agrément préfectoral des groupements stipule « les objectifs spécifiques sont de promouvoir l’agriculture, la pêche et les cultures maraîchères » … afin d’atteindre l’autosuffisance alimentaire, ajoutait Mr Bérété. 



Ce soir douche pour certains, seau-écuelle pour les autres. 

Il est 19h lorsque nous entrons « Au petit Versailles-chez Didile ». Une banderole est suspendue à l’entrée du restaurant de Mme Odile. Dans la nuit, nous n’avons pas remarqué le panneau qu’elle a planté à l’embranchement de la piste pour indiquer l’établissement. Elle repart demain dans sa sous-préfecture de Kamsar pour l’organisation des élections prévues dimanche.
De retour en ville, nous faisons un crochet par le maquis de Roger. Bière fraîche pour tout le monde ? Non ! Marie-Noëlle et moi n’aimons pas la bière, alors ce sera "un jus". Tous les sodas sont appelés jus en Guinée. Roger nous installe une table à l’extérieur. La transition est étourdissante. Nous passons du calme isolement de chez Odile à la bruyante rue principale. Motos et voitures sont incommodantes mais le va et vient des promeneurs nocturnes, ceux qui s’arrêtent acheter une topette de cracra ou une cigarette, les petites échoppes éclairées d’une faible ampoule ou d’autres soulignées par des guirlandes lumineuses qui brillent de mille feux, la tiédeur du soir pour finir une journée harassante de chaleur, c’est l’Afrique qui vit, celle qu’on aime.

La nuit est perturbée par un visiteur. Un bruit indistinct me réveille, peut-être un grattement de bois, ou du grignotage. Puis plus rien, jusqu’à ce que la bête se prenne les pattes dans une poche en plastique ce qui nous réveille complètement. Bernard pense que c’est le rat qui lui a rendu visite la semaine dernière. Branle-bas de combat pour le chasser, il est introuvable. Je ferme soigneusement les sacs et les poches et à peine rendormis, ça recommence. Nous essayons de le localiser avec la lampe de poche en tapant des pieds pour le faire fuir. Ce qu’il a fait ; car nous ne l’entendrons plus. C’est chez Christine qu’il s’est réfugié pour le reste de la nuit. Elle nous raconte sa chasse au rat au petit-déjeuner.  

Samedi 29 février
Journée libre. Aller au marché est toujours un plaisir. Les couleurs, les odeurs, l’animation, la rencontre avec ses femmes qui font battre le cœur de la ville par les échanges de marchandises qui leur permet de nourrir leur famille. De-ci de-là, on nous hèle, on nous adresse les salutations wo mama, ta na mouri, wo nuséné (bonjour à vous, ça va ce matin, bonne arrivée).
Le marché de Boffa
Des femmes de groupements qui nous reconnaissent proposent leurs légumes bien rangés en petits tas sur une table ou sur un pagne étendu au sol. L’une d’elle pose devant son étalage et réclame une photo. Il surgit aussitôt en vociférant contre cette brave femme qui répond vivement. Le dialogue est soutenu puis, lassée ou apeurée, elle abandonne. Je prends le relais « Depuis quand les photos sont-elles interdites au marché ? Qu’elle loi stipule que le marché est un lieu stratégique comme vous dites ? Ce n’est pas vrai ! Nous avons toujours pris des photos au marché et nous continuerons ! » Après un échange des plus vifs, il tourne les talons. Le policier à la chemine bleu clair s’éloigne, fâché. Mes compagnes sont sur la défensive, elles ont craint qu’il ne m’embarque. 
Il nous faut banani, léfouré (oranges pelées), malé gateaux (beignets de farine de riz ou de manioc), kansis (arachides), tami (pain).
                               
Une voix solennelle nous parvient de la grande rue. Juchés sur un pick-up, des jeunes hommes clament leur hostilité au référendum en invitant la population à manifester. Un cortège s’est formé depuis le port. Leur visage est moins impressionnant que celui des pêcheurs qui, dans une colère noire, manifestaient tous les soirs l’année dernière en scandant « De-hors les chinois – De-hors les chinois ». Ils en voulaient aux ya-ouri (petits yeux). La mesure prise en 2018 pour suspendre la pêche des sociétés chinoises qui ratissaient avec des filets à petites mailles, n’avaient pas été suivie d’effet. 

Direction Koukouboui pour le pique-nique. La piste bordée de palmiers qui mène chez Mr et Mme Bah est très agréable. Mr Bah est le président du premier groupement de maraîchers qui a reçu des aides du comité en 2008. L’accueil est chaleureux, table et chaises sont installées sous les manguiers. Même en pleine chaleur, il y a toujours de l’air sous les manguiers. Les petits poulets se précipitent dans nos jambes pour attraper les miettes tandis qu’une poule vorace saute sur les mains de Bernard et lui chipe le morceau de pain qu’il portait à sa bouche. Nous remercions avec des cadeaux pour madame et les enfants.  
Mr Bah tient à nous montrer le nouveau marais du groupement. C’est sous un soleil de plomb, par une piste étroite où des brindilles griffent les flancs du 4x4, que nous y accédons. La visite est brève, il fait vraiment trop chaud. 

Un peu de repos à l’hôtel avant la randonnée dans la mangrove jusqu’au village de Dominghia"La nouvellen’échappe pas au charme du paysage. De chaque côté du sentier, les palétuviers déploient leurs longs doigts plantés dans le poto-poto (vase) d’où les crabes sortent de trous bientôt envahis par l’eau du fleuve qui remonte avec la marée. L’épreuve des ponceaux approche. Le premier passage est toujours délicat. Il y en a quatre. De loin, c’est un petit pont en bois qui enjambe un bras de rivière. Au fur et à mesure de l’approche, on découvre des rondins cloués sur des perches précédés de grosses pierres pour y accéder. Il faut allonger le pas d’un rondin à l’autre car il en manque beaucoup et parfois faire l’équilibriste sur la perche quand ils sont trop espacés. Evidemment pas de rambarde pour se tenir. Je prête mon bras aux plus impressionnées. Passés les quatre ponceaux, le sentier grimpe, nous quittons la mangrove pour entrer dans la palmeraie qui mène au village niché au cœur d’une luxuriante végétation.
Port négrier de Dominghia
Nous ne dérogeons pas au traditionnel pèlerinage au bord du fleuve. La voie principale du village mène au gros fromager qui domine l’ancien port négrier de la Fatala. Le funèbre quai a été modifié par les chinois. Sur l’autre berge, plusieurs avancées en latérite où grues et pelles s’activent, barrent le fleuve d’un trait rouge. Ce sont les futurs quais pour les barges qui transporteront la bauxite jusqu’à la mer. Le fleuve va changer de visage. Un peu après l’ancien comptoir colonial, une immense concession chinoise a poussé en un an.
Le jour baisse, la visite à l’ancien maire de Boffa, Sény Camara, sera brève. Dominghia est un grand verger tropical. Autour des cases et des maisons en banco se dressent des arbres à pain, des corossols, des orangers, citronniers, pamplemoussiers, bananiers, cocotiers, papayers, manguiers et les spectaculaire calebassiers aux fruits plus gros que des ballons de foot. Seny nous fait servir des noix de coco pour nous désaltérer et nous repartons avec des pamplemousses. Sur le chemin du retour, il est trop tard pour voir le soleil disparaître mais le crépuscule diffuse une lumière rouge sur la mangrove. Étrange atmosphère... mystérieuse ! Dans la pénombre, nous traversons les ponceaux avec précaution. Il fait complètement nuit lorsque nous entrons dans Boffa.
Dominghia
                                                               

Pas d’Odile au Petit Versailles, elle est repartie à Kamsar pour les élections de demain. Dans la journée, nous avons appris qu’elles étaient reportées au 15 mars. Devant le durcissement des manifestations, la pression internationale dont la France et les Etats Unis, le retrait de l'Union Africaine et de la Cédeao qui demandent un nettoyage du fichier électoral, le président a annoncé un report de deux semaines.
A Boffa la vie continue. Retour à la chambre bercés par la musique d’une fête dans le quartier.

Dimanche 1er mars
Messe à 9h. Nous avons coutume d’y aller mais chacun fait ce qu’il veut. Nous rencontrons Madeleine de CMC qui accompagne une vingtaine de jeunes gens, garçons et filles catéchumènes aspirants à être baptisés pour Pâques. A l’appel de leur nom, il dépose un papier dans l’urne pour affirmer leur volonté de conversion. Presque tous sont musulmans. La messe est en plein air, sous l’amphithéâtre. C’est grandiose mais les chants sont moins vibrants que dans l’église.


L’homélie du prêtre sénégalais est un véritable sermon. Mais un sermon comme celui-là, on en redemande. « Un jour, un maître remet des grains de maïs à ses huit élèves en leur disant : celui qui aura la plus belle plante sera le roi. La semaine prochaine, vous apporterez vos pots et nous verrons ensemble si le maïs a commencé à pousser.
Le petit Amadou met de la bonne terre, la graine à la bonne profondeur, l’arrose comme il faut, mais la plante ne se développe pas. Une semaine plus tard, il voit ses camarades arriver à l’école avec des pots où déjà une tige est sortie de terre, et lui, rien. Le maître félicite les autres élèves et encourage Amadou en lui expliquant comment la faire pousser. La semaine suivante, il fait exactement ce que le maître a dit, et toujours rien. Il est désolé de voir les graines des autres devenues des plantes. Une compétition s’est instaurée entre eux. Lorsque le fils de l’éleveur a le plus beau pied de maïs, la semaine suivante c’est celui de la fille du commerçant qui a pris beaucoup de volume. Le fils du ministre qui ne veut pas être en reste, arrive un jour avec un pied extraordinaire. C’est peut-être parce que je suis pauvre se dit Amadou, alors il abandonne. Le jour du couronnement, le maître dit : vous avez tous de belles plantes mais c’est Amadou que je nomme roi, car il n’a pas triché. Les graines étaient bouillies. » 
L’assistance est tellement attentive qu’il continue pour notre plus grand plaisir.
« Un jour, un prêtre rend visite à un couple dans un village hors de sa paroisse. La femme l’invite à déjeuner. Ils parlent des nouvelles du pays, de la religion et d’autres sujets fort intéressants. Le couple met en exergue sa pratique de la religion, ses prières quotidiennes, la femme dit qu’elle va à la messe tous les matins. Tout en parlant le prêtre a remarqué un billet posé négligemment sur la table. Le repas était délicieux, il les quitte en les remerciant chaleureusement. Lorsqu’elle range la table, la femme s’aperçoit que le billet n’est plus là. Elle n’ose accuser le prêtre mais tout de même, il n’a pas pu disparaître tout seul. Les discussions s’animent entre elle et son mari, qui lui, ne veut pas y croire. Ils racontent le fait à leurs voisins et à leurs amis. Tout le monde a un avis, qui diffère. Le mari qui ne peut imaginer un prêtre voleur demande à sa femme de chercher encore. En vain ! Pour en avoir la certitude, je vais le réinviter, lui dit-elle. Le dimanche suivant, le prêtre est à nouveau à leur table. Le mari a prévenu, il ne demanderait rien. Mais la femme veut récupérer son billet. Elle essaie de rester courtoise mais finit par l’accuser. Le prêtre lui répond « je ne l’ai pas pris, je l’ai mis dans votre bible. Vous ne l’avez pas ouverte pendant tout ce temps ? »

J’ai fait court car les dialogues entre le couple ont été beaucoup plus longs. Tous les prêtres africains sont de bons conteurs. Dans ce pays de culture orale, cette analogie du conte à la morale est fort usitée par les ecclésiastiques… qui parfois se laissent entraîner dans des considérations peu habituelles. Je me souviens d’une messe de Noël où le père Armand, un togolais, avait raconté le mystère de la Nativité. Les dialogues entre Marie qui affirmait ne pas avoir fauté et Joseph qui voulait bien la croire mais ne comprenait pas que son ventre s’arrondisse étaient désopilants. « Tu man-ges trrop ! Tu grro-ssis ! » Éclats de rire et applaudissements dans l’église lorsque Joseph à bout d’arguments dit à Marie « mais ton ventre enfle, n’y aurait-il pas un fibrome là-dedans ! » Et Marie de répondre « C’est l’ange Gabriel, il est venu dans mon ventre et il a mis l’enfant ». Joseph, qui était la risée des hommes qui ne comprenaient pas qu’il ne l’ait pas chassée, quitta Nazareth avec Marie sur son âne pour se rendre à Bethléhem en Judée, là où naquit Jésus. « Mon frère, ma sœur, il faut donner sa confiance. Si quelqu’un te dit : J’ai vu ça ou j’ai entendu ça, il faut le croire, même si toi tu ne l’as pas vu »

A la sortie de la messe, Bernard nous quitte. Il veut trouver un mécanicien pour réparer la vitre avant gauche qui ne fonctionne plus. Nous avons le temps de saluer nos connaissances et les deux prêtres. Le "conteur" nous explique qu’il a exercé en France dans plusieurs paroisses dont celle de Fontenay le comte pendant huit mois. Le deuxième prêtre qui est polonais, nous invite à prendre un rafraîchissement dans son salon avec Sœur Renée que nous trouvons en meilleure santé que l’année passée. Elle a exercé son métier d’institutrice 30 ans en Afrique. Nous la voyons depuis une dizaine d’années à la mission catholique où elle a enseigné jusqu’en 2017.
Bernard revient avec la vitre bloquée. Le mécanicien partira demain chercher la pièce à Conakry ; de retour le soir, il la changera mardi matin. Il nous demandera 26 € pour la pièce, un aller-retour de 250 km en taxi et la main-d’œuvre. Ce jeune garçon est épatant, doué, efficace et honnête. 

Nous sommes invités à déjeuner chez Roger et Rose. La table n’est pas assez grande pour contenir l’assortiment de mets : tomates et concombres, omelette, bananes plantains, poulet rôti sauce oignons, frites, petits haricots noirs, patates frites. Tout est très bon mais nous sommes un peu déçus lorsque Roger nous dit que c’est le coq que nous avions rapporté de Yenguissa l’année dernière. Il était si beau ! En un an il a fait divers croisements avec ses poules, il a donc estimé qu’il était bon pour la casserole... la marmite.
Madame Lézé est encore là, un peu moins à l’ouest. Elle porte à merveille une robe rouge. On la remarque d’autant que dans ce pays musulman, on ne voit aucune femme assise dans un maquis à boire un verre, même sans alcool, sauf les fotés comme nous.
Cadeaux en remerciements : un collier pour madame, une montre pour monsieur, vêtements et jeux pour la fille et ses amis. 

Dans l’après-midi, nous rendons visite à Mr Bérété qui a une nouvelle activité, une unité de production de sachets d’eau minérale. Il emploie 15 personnes. La présence des chinois à Tamita, bourgade dont il est sous-préfet, ne serait pas étrangère à ses investissements. Il le confie lui-même. 

Les élections reportées, Odile est revenue de Kamsar avec ses enfants Raymonde et Léon, sa fille adoptive Mariam et son neveu Justin. Nous avons apporté leurs cadeaux car ils repartent demain. En plus de ces quatre-là, elle a la charge d’Emile 15 ans et d’Odile 18 ans, les enfants de son frère Jo. 
Ce soir, nous allons au Palmier. Passé l’hôpital, nous ne trouvons pas la voie à gauche qui longe un terrain de foot pour arriver au dancing. Tant pis, ce sera pour la semaine prochaine car le lieu est à voir. Dans les années 2000, un français a eu la merveilleuse idée de construire une immense piscine pour son hôtel, et c’est seulement une fois construite qu’il s’est demandé comment il allait la remplir… dans une ville qui n’a pas l’eau courante. Il a bien essayé mais devant le tollé général, il l’a transformée en boîte de nuit. On danse légèrement en pente, c’est original. Cédric a quitté Boffa depuis longtemps. Il a confié l’établissement à Ali, un garçon qui faisait le service à l’hôtel Niara Belly. Il continue d’ouvrir le week-end sans trop de succès. La jeunesse s’est tournée vers une nouvelle boîte à la gare routière.  

Lundi 2 mars
Douprou
Visite des marais salants de Ténéplan. C’est Abdoulaye qui doit nous y conduire. Le rendez-vous fixé devant la mairie de Douprou est raté. Il nous attendait au carrefour. Pendant une vingtaine de minutes nous patientons en bavardant avec le secrétaire général de la mairie. Pour Geneviève et Christine c’est l’occasion de prendre en photo les maisons en banco coiffées d’un chapeau de paille. Sous les cocotiers et les manguiers, les femmes ont commencé le repas qui mijote dans la marmite. Au moment de partir, Geneviève a disparu, entraînée au fond du village par toujours plus de clichés à ne pas manquer, dans cet écrin de verdure.

La marche est assez longue jusqu’au marais. Plus nous avançons, plus le poto poto colle aux semelles. Christine enlève ses tongs, c’est mieux pieds nus. Geneviève attendra d’arriver au bord du fossé qui ceinture le marais pour extraire de ses sandales, 3 cm de boue à l’extérieur et autant à l’intérieur. Plusieurs sauniers travaillent, le sel s’amoncelle en tas au bord des rectangles où l’on voit l’eau cristalliser.
Marais salants et méthode traditionnelle
Nous aimerions voir la méthode traditionnelle. Un des travailleurs nous entraîne jusqu’à un campement de femmes qui perpétuent cette technique, celle qui s’est pratiquée jusqu’en 1993 avant que les sauniers de l'Île de Ré ne viennent former les guinéens à la récolte de sel solaire. Plus pénible et destructrice de la mangrove, elle tend à disparaître, d’où les palétuviers qui repoussent autour de nous. L’eau saumâtre est filtrée dans un grand entonnoir fait de branchage et de terre salée, puis déversée dans un bac pour une évaporation par chauffage au bois. Les paludières ont monté une hutte pour la saison où jour et nuit il faut alimenter le brasier, récolter le sel fumant penché au-dessus des vapeurs de sodium. C’est éprouvant. Vive le soleil !
Nous croisons le champion des sauniers. Kaba produit 1 tonne de sel par bassin là où les autres en font la moitié seulement. L’année passée, il a récolté 45 tonnes. 
La chaleur devient accablante dans le sentier tracé au milieu de la mangrove. Penser au bain de mer qui nous attend cet après-midi nous donne le courage de continuer.
Avec toutes ces nouvelles constructions sur la côte, nous ratons l’entrée de la plage de Sobané
Enfin nous y voilà. Ici l’Atlantique est à 30 °. Le bonheur !
Pique-nique sous l’arbre, baignades, marche sur la plage à la chasse aux coquillages. Christine repartira avec une belle collection dans sa valise dont plusieurs escargots de mer d’au moins 30 cm. La plage est préservée, pas un déchet sur le sable dans cette anse déserte.
Des jeunes filles marchent vers nous, une cuvette de linge posée sur leur tête. Leurs silhouettes se découpent  à contre-jour. Majestueux ! 
plage de Sobané
L’activité bat son plein au port de Bongolon où les marchandes de poissons nous proposent des lots de soles, de barracudas et de petites fritures qu’elles ont étalés devant elles sur le quai. Une incommodante odeur venant de la grève jonchée de déchets n’encourage pas à acheter et pourtant il est frais.
Bongolon
Mais qu’est-ce qui lui prend ? Faisant fi de toute salubrité, nous voyons l’intrépide "nouvelle" sauter en tongs dans les immondices. Nous nous demandons bien pourquoi. Muni d’un bâton, elle soulève poches plastiques et déchets de poissons pour atteindre une coquille d’escargot de mer hors norme. Pour sa collection, rien de l’arrête. Après cette pêche miraculeuse, un lavage de pieds s’impose.
D’un monticule de filets vaporeux, blancs comme le voile d’une mariée, émerge la tête de pêcheurs qui ravaudent en s'interpellant d’une voix forte. Ils font signe qu’ils ne veulent pas de photos. Nous les prendrons de plus loin, au zoom. Sortis de ce brouhaha, le calme est assourdissant sur la plage où les longues pirogues, échouées sur le sable, attendent la prochaine marée. Les enfants qui nous ont suivis posent pour la photo en se bousculant.  

                             

Seulement trois fumeuses sous le hangar surchauffé par le soleil sur les tôles et les brasiers ardents à l’intérieur. Du bout des doigts, elles retournent les poissons posés sur le grillage et alimentent le feu en-dessous. La sueur perle sur leur visage. Accrochée au dos de sa mère, une petite fille tousse. Une autre, posée sur une table, dort dans un pagne. Tous les jours, elles peuvent passer plusieurs heures dans cette atmosphère enfumée ; leurs mamans les gardent près d’elle pour la tétée. Dehors, alignées sur des clayettes en branchage, de grosses raies pétrifiées par le sel sèchent au soleil. Ça pue !
Les familles de pêcheurs habitent dans des paillotes faites de feuilles de palmier tressées et de tôles, bâties sur le sable, bien différentes des cases ou des maisons en banco des autres villages. Il y règne un environnement insalubre.
Sur la piste du retour, le chauffeur n’aura pas à se plaindre du bavardage dans l’habitacle qui lui casse les oreilles parfois, chacune dort dans son coin, assommée par l’air de la mer. 

Le bouche à bouche chez Odile nous réveille complètement. La journée sera aquatique, elle nous a préparé du poisson braisé.

Mardi 3 mars
Achat de tissus au marché. Marie-Noëlle et moi sommes chargées de rapporter un boubou à Claudine ; dans les tons orange a-t-elle précisé. Ici pas de magasin de confection, que du sur mesure. Geneviève a envie d’une jupe et de draps, Christine aimerait un pantalon et deux robes, Marie-Noëlle trouve trois pagnes pour faire une grande nappe. Moi, j’ai ce qu’il me faut, une pile de tissus à la maison pas encore confectionnée.
Puis nous partons en villégiature avec fruits et pain pour le déjeuner.
Nous aurions aimé programmer quelques jours d'excursion à l'extérieur de la préfecture, mais vu les circonstances, nous n'irons pas au pays baga, là où les masques sortent le soir pour nous faire vivre les coutumes et rituels des ethnies du Bagataï. Bien que ce déplacement ne nous aurait sans doute pas posé de problèmes. Nous nous contenterons de quelques journées libres pour faire découvrir les sites intéressants autour de Boffa.

pique-nique et sieste à Sireya
un calebassier
70 Km de goudron et 7 km de piste pour une visite aux Grottes de Sireya. Au carrefour de Tanéné, prendre à gauche la route de Fria et à mi-chemin dans la bourgade de Tormelin, tourner après la mosquée et choisir l’embranchement à droite pour la piste de Sireya. C’est simple. Première halte pour photographier de drôles de menhirs et des chaos de rochers érodés qui se dressent dans la nature en véritable œuvre d’art. 

Lorsque des fotés entrent au village, le guide sort de sa maison. Il sait pourquoi ils sont là. Le soleil est au zénith, il est préférable de s’installer sous les arbres pour déjeuner avant la visite avec Ousman Awa Camara. Il prend la tête de la colonne, muni de son coupe-coupe pour dégager les herbes et les broussailles sur le chemin car les visiteurs sont rares.
L’apparition soudaine de la bouche béante est stupéfiante. A l'entrée de la cavité, des piliers pattes d’éléphant ont été façonnés par l’érosion. Nous déambulons entre ces colonnes pour nous engouffrer dans le noir sous des arches rocheuses. Éclairés par une torche, le guide nous entraîne dans un dédale de passages étroits jusqu’à une rivière souterraine. Lorsque la lumière fuse par un orifice, il faut se couler dans la brèche pour redescendre à nouveau sous terre. L’endroit est insolite.

A la sortie, un souffle chaud nous étourdit. Halte devant les petites voitures, faites d’un assemblage de bûchettes chevillées, qui sont en exposition au bord de la route. Très beau travail. Cette année, il y a même un hélicoptère. Geneviève et Christine en achète pour leurs petits-enfants. Un rafraîchissement « chez Pauline » à Tanéné est le bienvenu.

Retour à Boffa. Pas facile de se tourner dans le minuscule atelier de couture de Mabinti pour qu’elle prenne les mesures de ces dames.
Au Petit Versailles, Odile est triste ce soir, elle a deux décès dans sa famille, un oncle de son mari qui était comme son papa Léon nous dit-elle et une tante d’une autre lignée. Elle retourne demain à Kamsar.
En chemin vers l’hôtel, un attroupement attire notre attention. Sur l’esplanade, une musique entraînante lancée par un disc jockeys anime une soirée dansante. Stop ! pour voir ce qui se fête. Avant que nous n’atteignions la piste, Christine l’aide-soignante vient au secours d’une jeune-fille qui s’affale devant nous sur la pierre de latérite. Son amie, qui courrait avec elle, se carapate aussitôt. Elle reste KO sur le sol. Un garçon la relève sans ménagement sous les protestations de Christine qui la soutient et l’aide à faire quelques pas. Elle semble avoir très mal sur le côté, peut-être des côtes cassées ? Un adulte la prend en main. Nous rejoignons les badauds qui admirent les exhibitions de trois femmes. C’est un mix de danses traditionnelles et modernes. Le speaker vient nous chercher pour entrer sur la piste. Nous hésitons devant tous ces spectateurs. Et pourtant les jambes nous démangent. Puisque le ridicule ne tue pas, allons-y ! Ovation lorsque les quatre fotées commencent à se trémousser. La piste vide se remplit de danseurs venus nous soutenir. Ils sont contents… nous aussi. C’est une association de femmes qui organise une fête tous les débuts de mois. Deux jours plus tard, ce sera une association de jeunes filles. Ces soirées sont organisées dans le cadre de la grande fête internationale des droits des femmes le 8 mars. Nous serons partis, dommage.
Excellente nuit après l’exercice. 

Mercredi 4 mars
Dari ! Les pêcheurs et les fumeuses de poissons de l’île de Dary se sont portés candidats pour une aide.
Rendez-vous à la base CMC à 10h30 pour profiter de la pirogue que les responsables hydrauliques Oumar et Alphonse ont retenue. Nous faisons connaissance avec Xavier le nouveau coordinateur, Thimoté terminant sa mission la semaine prochaine. Il faut attendre Jobé qui apporte du chlore de Conakry pour l’impluvium de Dary. Il arrive à midi sans chlore. Départ pour le port de Walia. Le trajet se fait rapidement, la piste a été élargie, rénovée depuis l’an passé et une voie est en construction dans la mangrove sur le site du nouveau port. Les sociétés minières sont tenues de réduire l’isolement des villages en construisant des routes de desserte et de soutenir l’accès aux services de base en rénovant des centres de santé, en bâtissant des écoles.
Le piroguier écope avant de nous faire monter. Il embarque le bidon de carburant, les gilets de sauvetage, les parapluies pour nous protéger pendant les deux heures de traversée. Dès que nous prenons de la vitesse, une petite brise nous rafraîchit, il fait bon. Nous glissons à vive allure sur le large fleuve bordé de palétuviers. Le long de la berge, des chevaliers gambettes se sauvent entre les racines, un héron prend son envol sur la vase tandis que les sternes tournoient au-dessus des vaguelettes et plongent d’un coup sur leurs proies. Les voyant disparaître complètement, nous guettons leur sortie avec ou sans petit poisson dans le bec. L’eau monte sous nos pieds, il est tant d’écoper avec le bidon jaune. Le fleuve s’élargit mais nous n’irons pas jusqu’à la mer, Dari est une île de mangrove. Un peu de gymnastique pour débarquer en sautant dans l’eau qui nous arrive aux genoux.
Une demi-heure de marche pour entrer au village où le comité d’accueil nous attend. Les personnalités de l'île, des femmes et des enfants, l’équipe de foot en maillots bleus font une haie d'honneur. 

 
Lorsque le balafon et les djembés s’apaisent, nous prenons place sous les manguiers où le président Mr Kadil Sylla, entouré des autorités, nous reçoit. Oumar fait les présentations en particulier de Xavier qui vient d’arriver, puis Bernard explique la différence entre Charente Maritime Coopération qu’ils connaissent puisque l’impluvium est une réalisation de CMC et le comité de jumelage de Marans qui est là aujourd’hui pour étudier la demande d’aide faite par leurs groupements. Il énonce les modalités, le renouvellement pendant 3 années maximum si les résultats sont probants, explique que les fonds récoltés sont le fruit du travail de notre association de bénévoles qui organise des fêtes et diverses animations, qui reçoit des dons. Il souligne que les frais de voyage et de séjour sont payés par chaque membre de la délégation pour ne pas grever le budget qui est alloué. La réunion avec les pêcheurs et les fumeuses se tiendra après le déjeuner. 

Les femmes ont préparé des beignets d'huîtres et du riz sauce poulet. C’est très bon. Les beignets ne font pas recette, plus par crainte que pour leur goût.
L'impluvium
L’impluvium, cette grosse baudruche de stockage d’eau de pluie de 40 000 litres, réalisation initiée par CMC, a changé la vie des insulaires qui n’avaient pas d’eau potable. Elle était transportée en pirogue dans des bidons.

Le nom des groupements est exquis.
Dary - Groupement des pêcheurs « La Alara » qui signifie "confiance en Dieu "
          Président Mr Kalil Sylla
Dary - Groupement du fumage de poisson « Digné Gnöhoun » qui signifie "patientez"
          Président Mr Aboubakar Camara
C’est logique. Il faut d'abord la confiance pour une pêche miraculeuse sinon le fumage doit attendre.

Les hommes vont à la pêche, les femmes fument le poisson qui est embarqué dans de grands paniers pour le port de Walia à destination de Guéméyiéré, de Conakry et du carrefour commercial de Tanéné pour être vendu. Une pirogue et un moteur sont gâtés. Notre aide viendrait en complément du projet de Développement Durable de la Pêche artisanale à laquelle CMC collabore. 
   
                              
                                  Roger et les fumeuses de poisson                                        fumoir familial

Nous allons voir les petits fumoirs disséminés dans le village. Faits de grillage soutenu par des perches, ils sont grands consommateurs de bois. L'idée serait de les ceinturer de briques afin que les brasiers se consument moins vite. Dans l’île de Sakama, le CJ a déjà octroyé des fonds pour cette transformation en fumoirs dit améliorés. C’est efficace. Roger va suivre le projet.
                                             



Retour à notre pirogue entourés d’enfants et de femmes qui ont des ballots de marchandise à faire parvenir à Walia. L'une d'entre elles va embarquer avec nous. Les piroguiers nous font attendre. Christine en profite pour se baigner entre les pirogues amarrées, sous l’œil amusé de nos accompagnateurs. "La nouvelle" aura laissé des souvenirs dans la préfecture de Boffa.
Ce matin, nous avons sauté dans l’eau, là il faut sauter dans la pirogue, c’est beaucoup moins facile. Mais que cette traversée est agréable ! Un couple de pélicans nous escorte. Un mètre au-dessus des flots, ils sortent le train d’atterrissage, laissant glisser sur l’eau leurs deux pattes en avant pour freiner leur corps lourd, puis pédalant sur l'onde, reprennent leur envol lorsque nous arrivons près d’eux. Je les imagine devant les barges de bauxite qui croiseront ici dans quelques mois. Je vois aussi la petite pirogue du pêcheur qui lance son filet, secouée dans les remous.
                          


Arrivée à Boffa vers 19h.
Christine toque à la porte, nous avons de la visite. Kadiatou et son fils Bouba nous attendent sur la terrasse du Niara Belly.
Bouba a 20 ans ; dire que nous avons connu sa maman enceinte. Sa scolarité se passe bien. Kadiatou, institutrice à l’école franco-arabe ne travaille pas en ce moment comme la plupart des enseignants. Nous remettons du matériel scolaire à la maman, des vêtements et un ballon de foot pour Bouba.
Kadiatou envoie le bonjour à son amie Samantha.

Jeudi 5 mars
Au petit déjeuner, notre officier payeur nous réclame encore de l’argent. Puis direction Kissing et Walia.

GMW Kissing maraîchage (rattaché à Walia centre)
          Président Mr Moussa Camara
GMW Walia centre Fumage de poisson Mouna Fanyi  
          Président Mr Zakaria Bangoura         
GWC Walia Assainissement 
          Présidente Mme Mabinti Sylla

Beaucoup de chaises vides à notre arrivée mais balafon et djembés sont déjà à l’œuvre à l’entrée de Walia. Petit à petit femmes et enfants sortent du village pendant que les hommes continuent à apporter des chaises. Quelques femmes assurent l’animation. Elles sont affublées de grandes vestes et pantalons d’homme, l’une d’elle a un bonnet de laine enfoncé jusqu’aux yeux. Il fait 30° à l’ombre. Le groupement pour l’assainissement nous entraîne dans la danse de la balayette… en paille de riz, qu’elles brandissent comme une arme. Le rassemblement enfle à chaque minute. 

             
Les fotés sont invités à s’asseoir. Une belle jeune-fille sort du groupe et s’avance en dansant vers nous pour présenter la traditionnelle calebasse de bienvenue (riz et noix de kolas) et dans l’autre main elle tient une offrande, un coq qu’elle dépose dans les bras de Christine, la kola revient à Bernard. "La nouvelle" est interloquée, embarrassée puis enchantée. Le coq foté (il est blanc) ne pouvait pas mieux tomber, elle va le porter comme un bébé toute la matinée.
           
  la présidente des femmes           

                                
Un jeune homme présente les présidents et secrétaires des trois groupements ainsi que les autorités du village. Puis une femme prend le micro et s’adresse à l’assemblée en langue soussou. Pendant dix minutes nous sommes hors circuit. Je demande à Roger de traduire « ça ne concerne pas le comité de jumelage » répond-il. Elle profite de la présence des autorités villageoises et du rassemblement de la population pour divulguer des informations, formuler des revendications. Le micro passe à une vieille femme, conseillère et présidente des femmes. Puis les présidents de groupements ont la parole. 
                 
              
Danse avec le coq        



Le maraîchage existe depuis 3 ans. Une partie a été saccagée par les bœufs malgré la surveillance, le groupement voudrait acheter du grillage pour le faire clôturer. L'irrigation a besoin d'être améliorer.
Madame Mabinti Sylla parle au nom des fumeuses de poissons.
Roger interroge les unes et les autres sur les prix de ventes, leurs gains. Les légumes se vendent bien ici à Walia qui a un grand marché. Les femmes se partagent la tâche. Le poisson fumé part à Conakry. Roger a cette métaphore pour souligner la solidarité des groupements « un seul doigt ne peut pas prendre une fourmi, il en faut au moins deux ». Là, ils sont trois.
Pour l’assainissement, il leur faut des pelles, balais, râteaux, poubelles. Tout cela est répertorié. Nous conseillons à Roger de faire de la sensibilisation dans les écoles pour apprendre aux enfants à jeter dans les poubelles, comme cela avait été fait à Yenguissa.
Marie-Noëlle et Geneviève sont à nouveau sollicitées sur la piste, rejointes par Christine qui nous fait "Danse avec le coq".
Puis nous nous déplaçons au marais, grand et bien fait. La partie piétinée n’est pas tout à fait replantée. Il y a suffisamment d’eau pour des travaux d’irrigation. Il est ceinturé de fossés que l’on franchit sur des perches. Le premier se passe bien en prenant appui sur un bâton que l’on plante dans l’eau. Le deuxième se traverse en équilibre sur deux perches décalées. Marie-Noëlle joue les funambules, un jeune homme vient au secours de Geneviève, Christine contrebalance comme elle le peut, se rattrape, pour finalement s’affaler au bord du fossé… sans lâcher le coq qu’elle serre sur son cœur. Roger est désolé « J’aurais dû rester auprès de la nouvelle pour l’aider ».
Dans la cuvette de concombres, pastèques, oranges pelées, arachides, il y a deux papayes que nous dégusterons au déjeuner. Marie-Noëlle qui assurait ne pas aimer la papaye, ne le dira plus. Pas trop mures et arrosées de citron vert, elle les trouvera délicieuses.

Il est presque midi, nous avons encore un groupement à voir : les fabricants de nattes à Nafaya.
Personne à l’entrée, Roger appelle dans une maison, puis dans une autre pendant que nous l’attendons à l’ombre. Pas de réponse. Village mort. Pas tout à fait… un homme se présente suivi de sa femme. Eux ne sont pas au courant de notre visite. Roger est très mécontent. Il nous semble avoir aperçu une jeune fille au travail, nous demandons à la voir. 

Assise sur le sol, elle saisit des nervures de palmiers raphia, pratique une incision avec son grand couteau, les dédouble, coince les lanières souples entre ses deux orteils pour tirer sur les tiges dont elle se débarrasse. Lorsqu'une belle touffe s’épanouit aux orteils, elle la roule en pelote. Étalées et séchées, les lanières sont filées en de longues ficelles. Dans une autre cour, une femme tresse. Les ficelles ont été fixées à des bûchettes piquées dans le sol tous les dix centimètres pour former un grand rectangle. Sur cette trame, elle glisse les tiges séchées (dessus-dessous) qu’elle resserre à chaque rang. Beau travail !
         
                   
                                                le déjeuner est prêt
   

C’est ce même palmier raphia dont on fait couler la sève pour produire le vin de palme.
Un attroupement s’est maintenant formé autour de nous. Les hommes présents qui ne sont pas les responsables du groupement parlementent avec Roger. « Ils ont été prévenus plusieurs fois, l’étude de leur demande sera pour l’année prochaine » dit-il.
Nous rentrons tard mais pas besoin d’aller au marché, nous avons ce qu’il nous faut pour déjeuner dans la cour de l’hôtel. 

Cet après-midi, dernier maraîchage.
Groupement GMC Camara à Yenguissa 
          Président Mr Moustafa Camara 

Un peu avant le pont de la Tibola, Mr Camara nous fait des signes au bord de la route. Nous le suivons dans un sentier ombragé qui descend rapidement vers le bas-fond. Les planches d’aubergines sont belles, beaucoup plus que l’année dernière. Ils ont un peu défriché pour agrandir mais Roger trouve qu’ils auraient dû faire plus. « Il fallait 7 millions pour tout défricher, c’était trop » se défend Mr Camara. Roger rétorque qu’il faut faire petit à petit. Il procède à un véritable interrogatoire sur le volume de légumes vendus, le chiffre, l’argent qu’ils ont gardé pour continuer le défrichement, etc… Il lui donne une leçon de gestion. Avec la prochaine subvention, il faut beaucoup plus de défrichement, plantations et récoltes, lui assène-t-il, pas aimablement. Le résultat escompté n’est pas là mais nous remettons tout de même nos cadeaux et repartons avec un grand seau de pamplemousses. Très doux !

Chez Mabinti’Couture, le boubou de Claudine est réussi, la robe de Christine aussi, un peu moins les pantalons. Nous pourrions loger toutes les deux dedans… enfin presque. Elle renonce à les faire retoucher, elle verra ça en France. A l’atelier du marché, Geneviève est contente de sa jupe.
                            

Ce soir, le groupe s’est agrandit chez Odile. Clémence, Tatiana, Timothée, Thomas, Xavier de la base de CMC dînent avec nous. Nous avons les dernières nouvelles. Les maires de plusieurs communes de Conakry avaient interdit la grande manifestation prévue aujourd’hui mais les militants  du FNCD sont tout de même descendus massivement dans les rues. Un jeune homme serait mort touché à la tête par une bombe de gaz lacrymogène ou un tir. Depuis mi-octobre, la mobilisation a fait une trentaine de victimes.
Après ces mauvaises nouvelles, l’ambiance est bon enfant. Une partie de l’équipe va changer. Le coordinateur en chef Timothée part la semaine prochaine remplacé par Xavier, Clémence finit en juillet, Thomas est là jusqu’à la fin de l’année. Une conversation s’engage avec Christine qui s’est occupée de sa grand-mère à l’Ehpad de Marans, Mme Bouet. Avec Clémence, nous parlons du centre de formation professionnelle pour jeunes handicapés de l’ONG Guinée Solidarité à Mamou où elle était en poste avant d’arriver à Boffa. Les responsables de l’époque, Fabien et Nawen nous avaient hébergés en 2016.
Nous ne manquons pas de les visiter lors de nos périples dans le Fouta Djalon. L’année dernière, le centre a reçu des machines à coudre et à tricoter collectées par Didier et Colette et un fauteuil roulant. Ils avaient été acheminés en camion depuis Bressuire par Jean-Paul Auger, grand bienfaiteur de la Guinée, qui avait organisé une expédition de plusieurs camions de matériel.
Concernant le comité, Clémence espère que la remise des enveloppes ne sera pas retardée pendant des mois par le maire comme ce fut le cas l’an passé. Roger, qui devait faire patienter les groupements, était excédé. Nous ne le verrons pas. Bernard l’a rencontré la semaine dernière, depuis, Mr Kissing Camara est à Conakry.

Vendredi 6 mars
Adama Barry nous emmène à son école qui a reçu des tables et des chaises de la part d’une entreprise marandaise. Une équipe de généreux donateurs qui a déjà réalisé cette opération au bénéfice d’autres pays d’Afrique, avait chargé Bernard de trouver une école à Boffa. Le directeur de l’école du Centre nous accueille dans la cour vide et la plupart des classes vides. On ne sait pas s’il a réquisitionné des enfants pour notre visite mais ils sont là, en robe vichy à carreaux bleus ou rouges et ensemble beige pour les garçons, assis derrière les tables en contreplaqué marine peintes de couleurs vives.  Nous avons droit à une leçon de lecture au tableau. Lorsque la jeune Aminata sèche, Babacar est envoyé en renfort.
Monsieur le directeur transmet ses vifs remerciements à ses mécènes.
                   

Nous remercions l’équipe de CMC d’avoir trouvé un transitaire pour les formalités de dédouanement et un transporteur de Conakry à Boffa. 
Sur le chemin du retour, Adama nous confie qu’elle veut changer d’école, elle préférerait un établissement plus petit. Ici, elle doit assumer deux classes, plus de 100 enfants. Pour faire travailler tous les élèves, l’école a institué un roulement dans les classes : 8h/13h pour un premier groupe - 13h/17h pour le deuxième. Pas de répit pour les enseignants qui n’ont pas augmenté en conséquence.
Nous lui proposons d’aller avec elle dans l’école qu’elle aimerait intégrer. Effectivement, elle est beaucoup plus petite. La directrice, courte et bien portante, est très sympathique. Ici, plusieurs classes ont cours, et notre venue n’était pas annoncée. Nous savons que l'équipe de mécènes marandais a commencé la fabrication d’autres tables pour Boffa. Laisser entendre à la directrice qu’elle aura peut-être la chance de recevoir des tables de France, serait un sérieux coup de pouce pour le poste convoité par Adama.

Avant de visiter notre dernier groupement, nous retournons à la mission catholique pour rencontrer les enseignants et les élèves. Les petits "mange-mil" de la maternelle (expression de Léon pour parler des enfants) sont alignés en rangs dans la cour après être passés au lavage des mains dans une cuvette. L’institutrice sœur Josiane donne le top pour entrer dans les classes « en silence ! » Sa rigueur est perceptible au ton de sa voix. Originaire du Niger, elle a enseigné plusieurs années en France, d’abord à Lille qu’elle a beaucoup apprécié puis en Bretagne. Dans les classes, les plus petits se sont allongés sur des nattes pour la sieste, les autres entament les activités de l’après-midi. Nous remettons le matériel scolaire qui leur était réservé et sommes récompensés par des chants exprimés avec beaucoup d’ardeur. Lorsque nous quittons la classe, les enfants clament d’une seule voix « Au revoir tonton – Au revoir tanties »

Halte dans la cour des grands. Nous avons des dossards pour les primaires et le collège. Mr le directeur n’est pas là, nous les donnons à Quentin, un jeune séminariste breton en stage ici pour un an.

Groupement de soutien à la maternité de Boffa 
          Présidente Mme Aminata Diallo Sylla

Le directeur de l’hôpital, Docteur Isaac Kolié nous souhaite la bienvenue. Petit à petit, les femmes du groupement arrivent à son bureau. Nous sommes vendredi, elles viennent après la grande prière à la mosquée. Mr Kolié remercie le comité et particulièrement l’école Marie-Eustelle pour ses dons. Il nous le dit chaque année ; il est émerveillé de l’implication des élèves et des encadrants au bénéfice de leur maternité. Les sommes allouées pendant six ans (3 650 €) ont permis d’améliorer l’hygiène et les soins prodigués à la mère et à l’enfant au moment où l’hôpital disposait de peu de moyens. Aujourd’hui, le grand hôpital préfectoral qu’il est devenu reçoit plus de matériel. C’est ce que nous constatons lors de la visite du service. Encore emballés sous plastique, il y a des lits médicalisés, deux tables d’accouchement, une couveuse, des cartons de consommables à usage unique. La sage-femme en chef précise qu’ils reçoivent suffisamment de médicaments de Conakry.
Du matériel neuf pour l'hôpital et la maternité
Les salles ne sont pas toutes opérationnelles car pas toujours fonctionnelles. C’est le cas de la salle d’accouchement que le directeur fait remanier et du laboratoire qui va être carrelé du sol au plafond.
Emmitouflé dans une couverture, un bébé né ce matin dort sur le lit de sa maman qui semble en pleine forme. Ce n’est pas le cas de cette jeune femme recroquevillée sur le sol, sans matelas, sans natte.  « Elle a fait une fausse-couche ». Ça n’explique pas qu’elle soit couchée parterre. « Elle est trop agitée, elle risque de se blesser, plusieurs fois elle est tombée du lit, elle fait des crises d’épilepsie ». Bon! L’image est tout de même rude.
Aminata, la présidente du groupement remercie elle aussi au nom des femmes. Elle fait l’éloge de l’école Marie-Eustelle pour laquelle elles ont préparé un colis afin d’exprimer leur gratitude aux élèves et aux enseignants, en particulier à Fabienne Colas qui a managé les opérations de solidarité. Nous remettons nos poches de pyjamas collectés par la crèche de St Jean de Liversay ainsi que des médicaments et des compresses. 
Vidéo de l'ancienne maternité en 2015  

Puisque nous sommes dans le secteur, nous poussons jusqu’au Palmier. De jour, nous retrouvons le chemin. Ali n’est pas là mais deux garçons nous font visiter le dancing. "La nouvelle" est agréablement surprise, elle ne voyait pas ce que ça pouvait donner.

Réunion à l’hôtel pour décider des attributions (voir le tableau). Nous tombons tous d’accord pour donner un peu plus à Roger qui fait du bon travail.
« A quoi sert l’atelier de la coopérative des couturières et teinturières qui a été financé par le comité de 2002 à 2008 ? » Bien avant le décès de la présidente Mme Cissé, il semble qu’il n’était plus occupé. Bernard demande à Roger de se renseigner. Si le groupement ne l’utilise plus, il serait normal qu’il revienne au Comité de Boffa. Une nouvelle fonction pourrait être décidée en concertation avec le comité de Marans.
En ce qui concerne le charbon de paille, les essais faits  avec Denis M’Bou ne sont pas concluants pour le moment mais le projet n’est pas abandonné. La combustion se fait mal, il faut revoir la conception du bidon.

le coq "foté" surveille
L’après-midi se termine chez Roger qui nous conte les rites et coutumes du peuple de la Forêt, sa région, où beaucoup de petites ethnies ont chacune leurs propres croyances mais toutes pratiquent la magie et les rites secrets dont l’initiation dans les forêts sacrées. Comme tous les ans, j’essaie de percer le mystère de la fabrication des ponts de lianes… mais ça, c’est top secret. Toujours la même réponse «ils se fabriquent en une nuit.» Le hamac géant de 70 m de longueur que nous avions emprunté en Guinée forestière, fait de milliers de lianes tressées, construit en une nuit ? La bonne blague ! Qu’il soit suspendu en une nuit est déjà un exploit. Qu’au lever du jour les habitants découvrent un pont miraculeux pour traverser en quelques minutes là où ils mettaient plusieurs heures en faisant un détour, c’est vrai. Mais lorsqu’il s’agit de savoir par qui et comment il a été conçu, impossible d’avoir une réponse claire. « Seuls les initiés le savent » Je peux dire que celui de Sérédou a été un grand chantier pour les initiés. Mais laissons la magie opérer « Ils se fabriquent en une nuit ».
Pont de liane de Sérédou
Roger regrette que le modernisme affecte le parcours initiatique des jeunes et entraîne l’abandon des pratiques ancestrales. Les ponts de lianes sont amenés à disparaître, faute d’initiés et de lianes.

Une rumeur circule depuis quelques jours à Boffa. Des chinois seraient arrivés sur leur site de Domingya en catimini. Débarqués en haute mer, ils auraient été cachés dans un container puis acheminés par le Rio Pongo. Il y aurait quatre cas de coronavirus, dixit le directeur de l’école de la mission.  Le corona ! Nous l’avions oublié celui-là. Ce sujet est très peu évoqué ici. Nous n’avons aucun chiffre, nous n’en entendons pas parler. Personne ne fait attention.

Le Petit Versailles est plongé dans le noir. Dîner à la bougie. C’est très agréable.

Samedi 7 mars
Nous attendons Bernard chez l’institutrice Adama à qui nous avons apporté nos dernières fournitures. Il ne viendra pas, le 4x4 est en panne. Poussé par les garçons de l’hôtel pour le faire démarrer, il est au garage près du terrain de foot. La batterie "n’est pas à plat", le diagnostic se porte sur le démarreur. Les charbons sont changés dans l’heure qui suit.
Au marché, nous faisons nos derniers achats à emporter : pâte d’arachide, fonio, poivre, gingembre, bissap séché, gombo pilé, citrons verts…
Le pajero est prêt en début d’après-midi pour que nous allions faire nos adieux à la base de CMC, reprendre le solde de l’enveloppe et remercier Clémence qui va se charger d’organiser la distribution en présence de Roger et de la présidente Aminata. Le tableau de répartition lui sera envoyé à notre retour en France. Elle nous remet 35 kg de comptabilité pour CMC au Conseil Départemental à La Rochelle.
Nous ne regrettons pas d’avoir maintenu notre voyage. C’est justement dans une situation critique que l’appui aux groupements professionnels est important. Sans nos visites d’observation de leur activité, ils n’auraient rien eu cette année. Bien que modeste, nous estimons que notre aide n’est pas négligeable dans un pays ou le revenu mensuel moyen est de 52 €. Souhaitons que le partage de leur richesse naturelle soit équitable. Que ce gisement rouge de plus en plus exploité leur apporte un mieux vivre, que la population en voit la couleur.

Ce soir c’est la fête chez Aminata, la présidente du soutien à la maternité. Elle a rassemblé les femmes du groupement dans sa courette. Nous sommes agressés par les griottes. Elles nous attrapent par la taille pour nous faire tourner en rond de plus en plus vite au son du balafon et des djembés. La plus vieille vante nos mérites dans son porte-voix jusqu’à ce que les petits billets sortent de nos poches. Pendant une demi-heure, nous sommes entraînés dans une spirale endiablée de son, de danse, de rire sans pouvoir nous échapper. Les "jus" frais arrivent à point. Lorsque le calme est revenu, la discussion porte sur les années de service d’Aminata à la maternité. Avec une moyenne de 40 accouchements par mois il y a 20 ans et le double aujourd’hui, il y aurait eu environ 12 000 naissances durant sa carrière. Ça ne veut 
La présidente et
le vice-président du CJ
pas dire que les naissances ont doublé, bien au contraire, mais que les femmes accouchent de moins en moins chez elles. Avant, elles étaient transportées à la maternité uniquement lors de complications et souvent c’était trop tard. La mortalité infantile est passée de 13 % en 2000 à 5,5 en 2018. Des campagnes de sensibilisation au planning familial sont organisées 
auprès des femmes dans les villages pour réduire le nombre d’enfants. Les hommes, invités à y participer, ne sont guère présents. L’accès aux consultations et aux produits contraceptifs est très limité, faute d’informations et de moyens. Echange intéressant particulièrement avec la sage-femme en poste actuellement.

Odile Barry
Au Petit Versailles, Odile a préparé nos notes. Elle tient à nous faire visiter les chambres de la nouvelle maison construite près de chez elle. Elle aimerait passer un accord avec le propriétaire pour les louer. Il faut reconnaître que c’est superbe. Plusieurs petits appartements bien aménagés avec deux chambres et salon cuisine. Tout brille, carrelage, meubles, rideaux, c’est le luxe. Mais moi je préfère l’animation du Niara Belly même avec la chasse au rat. Les chambres sont propres si on ne regarde pas trop dans les coins, les garçons sont sympathiques, nous les faisons travailler, Ali réclame souvent du linge à laver, Alcény est très serviable et toujours impeccable. 
Député Camara

Avec Député Camara que nous avons connu collégien, nous avons des nouvelles du pays, nous discutons le soir lorsqu’ils sont tous rassemblés dans la cour à refaire le monde.  Ici, comme pour le dîner, nous serions isolés de la population, nous ne verrions pas, au petit matin, les femmes partir au marché avec leur cuvette sur la tête, les enfants aller à l’école dans leur uniforme, nous ne pourrions pas aller à pied au marché, au port, dans le cœur de la ville. J’aimerai lui fournir un revenu supplémentaire et je comprends qu’elle veuille le
Alcény
mieux pour nous, eux qui aspirent à vivre dans de belles maisons comme les nôtres, mais l’immersion dans le pays, c’est ce qui me plait. Notre façon rudimentaire de voyager avec notre tente sur le toit c’est pour être au plus près de la population. Là aussi.

Dimanche 8 mars
Ousman, Christine, Ali, Alcény et les enfants
Opération délicate : le chargement des bagages. Le coffre était plein de Conakry à Boffa et il faut ajouter les deux sacs de Bernard plus une partie de la compta qui n’a pas logé dans nos valises. Les garçons ont commencé mais ça ne va pas. Manœuvre réussie sous les directives de Bernard qui n’autorise aucun conseil… 
Salutations et petits billets aux commis de l’hôtel pour les services rendus avant de prendre la route de Conakry. 

Peu de circulation jusqu’à Dubréka où nous stoppons manger nos fruits, après c’est une autre paire de manches. Les voitures circulent à double sens, à contre sens en soulevant des nuages de poussière rouge. On nous double à droite, on nous frôle à gauche et ça klaxonne à qui mieux mieux. Aux carrefours, c’est la pagaïe. Bernard qui a une certaine expérience, ne laisse personne lui griller la priorité. C’est impressionnant ! Après chaque rond-point, on se dit qu’on l’a échappé belle. Les véhicules sont pleins à craquer. Des ballots, accumulés sur le toit, penchent dangereusement malgré les efforts de jeunes garçons accrochés à la portière pour essayer de maintenir le chargement. Conakry, nous voilà !
Nous retrouvons Emile et sa sœur Hélène.
Chez Emile
Ce soir Emile est en verve. Devant son verre de « pastaga » il raconte ses histoires de jeunesse et ses amours déçues pour conclure « Les femmes ne sont pas faciles ici en Guinée ».
Les histoires drôles alternent avec des sujets beaucoup plus dramatiques comme les conditions de vie des handicapés, ceux que nous avons vus dans la ville faisant la manche sur les terre-pleins et aux carrefours. Considérées comme une malédiction, les personnes handicapées sont exclues de la société, condamnées à vivre entre elles et à mendier pour subvenir à leurs besoins. Marie-Noëlle fait remarquer que l’on ne voit pas de handicapés mentaux. La réponse d’Emile est énigmatique et glaçante « Ils étaient emmenés à la maison du sorcier et le diable venait les prendre » La conjugaison au passé n’est peut-être pas complètement la réalité.
Emile et Pauline
Pauline et Emile ne nous lâchent pas. Toute la soirée, Emile réclame le camion en bûchettes de Christine.

Lundi 9 mars 
Ce matin, tour de quartier avec un arrêt chez le cambiste d’Emile pour un peu de change supplémentaire. Pour ces deux semaines, nous aurons dépensé 900 € tout compris (vol-hébergement-restauration-location du véhicule-carburant), les achats personnels en plus bien sûr.

A l’heure du déjeuner, Joseph a quelque chose à me dire. Son visage d’un naturel triste est figé dans un rôle dramatique pour me narrer ses mésaventures. Cette nuit, il s’est battu dans un maquis, la victime a été transportée à l’hôpital, il est convoqué à la police.
-        Je ne peux rien pour toi, il faut que tu en parles à Emile
-       Non ! Il sera en colère, il va crier. Si je donne 100 000 à la famille pour l’hôpital, ça ira
-        Je veux bien te donner 100 000 (10 €) mais je préfère en parler à Emile
Pour me convaincre, il me passe plusieurs personnes au téléphone. Elles ne comprennent rien à cette histoire. Il dit qu’il a été lui aussi blessé et me montre un petit accroc blanc sur son torse, une cicatrice qui date de plusieurs mois.
Il avait raison. Emile est en colère, très en colère et moi bien ennuyée.
-        Il veut te soutirer de l’argent. Il raconte des histoires. Je vais le renvoyer.
Joseph, Emile, Fatou
Après un bon sermon, un semblant de renvoi, il le rappellera à son service dès le lendemain. Et puisqu’il a sans doute besoin de cet argent ; pour quoi faire, nous ne le saurons pas ; Emile nous demandera de lui donner 100 000 FG de pourboire demain au moment de partir. Emile nous loge gracieusement, il préfère que nous donnions des enveloppes à ses employés.

Bernard nous conduit chez les sculpteurs pour des achats souvenirs. Une cora et une girafe pour Geneviève, Statuettes et porte-clés en ébène pour Christine. Faites de bois et de tôles, leurs échoppes sont rudimentaires mais ils ont beaucoup de marchandises.  
Au volant, Bernard "envoie promener" Emile qui lui donne des conseils de conduite « Attention à droite - stoppe - démarre » Rires étouffés à l’arrière. Emile commente « Il est ronchon… mais il est doué d’ubiquité ».
Nous n’avons plus d’eau minérale. Sortie nocturne dans la rue à l’épicerie de Jacqueline.  Dans quelques mètres carrés grillagés, elle a aligné sur des étagères un peu d’épicerie, de quincaillerie, des cigarettes qu’elle vend à l’unité. Sur le minuscule espace libre, ses enfants Emile et Pauline dorment parterre sur une natte.

Mardi 10 mars
photo wikimedia fondation
Avant de partir nous aimerions voir la mer et ce n’est pas une mince affaire. Entre les baraques-échoppes des pauvres et les immeubles des promoteurs, la côte a été colonisée. Elle est pourtant à quelques mètres de nous, battant la corniche sud que nous suivons le long du trottoir sans trouver le moindre interstice pour la voir. Le propriétaire d’une maison accepte que nous entrions chez lui pour admirer le point de vue et prendre quelques photos depuis sa terrasse. Longtemps appelée la perle de l’Afrique, Conakry la ville-presqu’île est toujours une perle… enfouie sous la misère.  

Emile doit préparer le colis de 23 kg de produits guinéens que nous allons rapporter à sa famille de La Roche s/yon. Les dorades sont fricassées, nous partons acheter les fruits et légumes. Le scan de l’aéroport détectera un flacon suspect. Appelé au téléphone pour une explication à l’agent des douanes, Emile répondra sans hésitation « c’est de la pâte d’arachide ». L'agent précise « Ce n’est pas de l’huile rouge ? car c’est interdit .» Il a eu la bonne idée de ne pas vérifier.
Christine s’est laissée tenter par des papayes, corossols, mangues… pas trop mûres pour éviter la purée dans la valise.

Nous quittons cette Guinée contrastée, pauvre malgré ses richesses, qui rit aussi fort qu’elle pourrait pleurer, contestataire et cependant si docile mais toujours attachante.
Annick Bouchereau
Photos Geneviève, Christine, Marie-Noëlle, Annick - vidéos Bernard

Remise des subventions par Clémence coordinatrice de CMC que nous remercions pour sa collaboration. 
                                          
Les dernières nouvelles
*Le référendum a eu lieu le 22 mars, marqué par des violences corporelles et matérielles. Le résultat est de 89,76 % pour, avec une participation de 58,24 % et une large victoire aux législatives pour le parti du président : 79 députés sur 114 élus.
Sans le mot-d'ordre du Front National pour la Défense de la Constitution de boycotter ce scrutin, les résultats proclamés auraient-ils été différents ?!!! 

*Le Coronavirus : En une semaine les cas confirmés sont passés de 579 à 1094 (dont 225 déclarés guéris et 7 décès).
Il n’y a pas de cas officiellement déclaré à Boffa mais quelqu’un de Conakry signalé contaminé étant venu à Boffa la semaine dernière, la préfecture recherche les personnes qui l’auraient côtoyé.
CMC, en partenariat avec la préfecture et la commune, a organisé une distribution de kits d’hygiène et de masques à la population dans les lieux les plus fréquentés (marché, gare routière, port…) Infos CMC du 28/04/20
Le confinement, l’instauration d'un couvre-feu de 21h à 5h du matin et l'interdiction des déplacements non essentiels vers les régions sont appliqués depuis le 30 mars dans la capitale. Ainsi que la fermeture des écoles et des lieux publics dans tout le pays, des frontières et de l'aéroport.
Le 5 mai : Coronavirus - de nombreux nouveaux cas ont été détectés en Guinée, passant en 1 semaine de 1094 à 1650 cas confirmés (dont 437 déclarés guéri et 7 décès). Il n'y a pas de cas officiellement déclaré à Boffa.
Le 6 juin  : Coronavirus - De nouveaux cas ont été détectés en Guinée, passant en une semaine de 3771 à 4165 cas confirmés (dont 2877 déclarés guéri et 23 décès). A noter qu'il y a entre 400 et 870 personnes testées par jour. Il n'y a pas de cas officiellement déclaré à Boffa.
Le 2 juin 2021 : Coronavirus  - 23177 cas confirmés (161 décès hospitaliers)

2 commentaires:

  1. Intéressante lecture, et beaucoup de découvertes pour ma part. J'attends impatiemment les photos illustrant ce texte. Petite remarque, il n'y a pas un lien sur ce blog pour s'inscrire et recevoir une alerte à chaque nouvel article ?

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  2. Merci Jamy. Pas de lien, c'est vrai...je vois cela. Je peux aussi diffuser le lien sur notre facebook lors de nouvelles publications. En attendant pour faire une visite de temps en temps : taper Comité de jumelage de Marans sur google, on a le lien de suite. Malheureusement, pas d'article dans les semaines qui viennent puisque la pièce de théâtre avec la troupe "Les Tréteaux des 2 Tours" programmée hier soir a été annulée et la visite du Barrow-upon-soar Twinning en juin est annulée aussi. (les premières photos dans la journée)

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